Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/61

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colonne de troupes fraîches, toutes neuves, au premier jour de leurs misères. Gaspard, en marchant, fumait, parlait, chantait, mangeait. De temps en temps on le voyait avec deux fusils : Moreau secouait un prunier. Il rapportait des prunes dans son képi. Vingt mains se tendaient, vingt bouches s’ouvraient, et on recrachait tout sur la route : ce n’était pas mûr : « Pouah ! Saloperie ! » Deux minutes plus tard, Moreau portait deux sacs : Gaspard s’était coulé dans une ferme. Il reparaissait en sueur, les bouffées de sa pipe plus pressées que jamais, et, reprenant son bagage, il montrait aux amis :

— Du beurre, voui, du vrai beurre ! Pis qui sent pas : colle ton nez d’ssus. Et ça… et ça… devine ?… D’ la bleue, Ferdinand, c’est d’ la bleue !

— Ah dis donc, faisait Moreau, tout comme avenue du Maine !

C’était si bien comme avenue du Maine, qu’on rencontra des autobus de Paris, une file de douze, tout un convoi de ravitaillement. Gaspard s’inquiéta de « l’arrêt facultatif. » Moreau imitait une grosse dame : « Conducteur, soyez poli ! » Même les campagnards qui se rappelaient des voyages dans la capitale — l’Exposition ou le mariage d’un parent — s’égayaient à retrouver des souvenirs dans la bouche de ces blagueurs