Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/59

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d’obtenir sa petite vengeance. D’où cet air souverain et cette supériorité, lorsqu’elle déclare de sa bergère, sur un ton de chef de gare : En route pour Ratapoilopolis.

Ratapoilopolis ?

Les mâchoires de Pierre sont serrées à craquer. Ses yeux fixes ne voient rien, ne peuvent plus rien voir. Une femme sans lèvres à côté de lui sait ce qu’elle veut. Elle va prouver à son fils qu’il est dégénéré car, si elle a renoncé à sa part de bonheur terrestre, elle a bien droit, n’est-ce pas, à quelque compensation. D’où son habitude de rendre des arrêts, de ne jamais avoir tort. Elle se tuerait à bâtir des raisonnements, à chercher des preuves, pour défendre le moindre de ses dires. Mais avec Pierre inutile de se fatiguer, il n’est pas bien fort ce petit. Un ou deux mots bien placés et on l’a. Il a beau faire le matamore, discourir de tout, juger de Dieu et du diable, il a beau fréquenter des Américains, des Tchécoslovaques, des Yougoslaves et toute une clique, il a beau se droguer, se soûler, démolir les porte-parapluies et connaître toute une ribambelle d’hurluberlus, il n’en demeure pas moins d’une candeur, à la vérité transparente, dont la fille du président Dufour, qui châtie en justicière implacable, sait tirer son parti.

Elle n’a eu qu’à prononcer le nom de Ratapoilopolis pour que Pierre serrât les mâchoires. Son travail si bien commencé s’achève de lui-même. Elle le regarde, le sur-