Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/60

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veille, en dépit d’une obscurité qui tombe et qu’elle ne dissipera point car elle sait que l’ombre peut être une alliée.

Alors, bien à l’aise, bien calée dans son fauteuil, elle attend que Pierre s’enfonce, se noie dans ses pensées.

Anormal, dégénéré ou fou ?

Parce que des muscles ne saillent point sous sa peau, parce que l’amour et ses manigances déchiquètent sa volonté, sa raison, doit-il prendre peur ?

Jamais pourtant il n’a connu la folie d’orgueil, ni prétendu renoncer à sa part de sagesse banale. Être un point dans la masse. Pas davantage. Il ne souhaite d’autre bonheur que celui de confondre son âme avec d’autres âmes dans un continent anonyme dont ses yeux, ses oreilles et les yeux et les oreilles de tous les hommes seraient les ports. Coraux d’intelligence, ses pensées propres, coraux de chair, ses papilles à jouir, sont si peu en face du domaine indivis. Rien qu’une presqu’île, pas même une presqu’île, une antenne, mérite le nom de Pierre Dumont et connaît les surprises d’un océan singulier. Mais de la mer d’aventures sont venus des bateaux coupables que son sang, aujourd’hui, porte en quête d’il ne sait quel refuge. Pensées mutilées, désirs sans figures, secrets trop bien aiguisés, tout cela est-il condamné à quelque naufrage qui ne sera même pas un terme.

La folie ?