Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/91

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Mais de grands mots, des expressions pompeuses telles que « renoncer à vivre » soudain font buter Pierre sur le chemin trop lisse, trop facile qu’il eût volontiers suivi jusqu’à l’océan de mort ou d’oubli, et d’avoir buté, il est obligé de reprendre une conscience plus précise de soi, de se tâter, de se dire que le danger naît peut-être de la façon dont il présente son tourment plutôt que de ce tourment même, et il va jusqu’à croire que ce n’est que par une sorte de mauvaise foi qu’il a construit, à l’aide de quelques rêves ou de quelques sensations, sur la plate-forme qu’était la démence du colonel, la folie future, la folie probable, la folie de Pierre Dumont.

Or parce qu’il n’est pas sûr de ses pensées, en dépit de l’excellente ligne de tête que lui reconnaissent les chiromanciennes, il veut trouver des raisons d’optimisme dans son corps dont le premier d’ailleurs il avoue la faiblesse des bras ou de la poitrine. Mme  Dumont-Dufour du reste ne manque pas en chaque occasion de le traiter en gringalet, mais qu’importe ; il veut croire que son écorce n’est pas mauvaise. Un boxeur, un costaud, qui s’y connaissait et mieux que Mme  Dumont-Dufour, n’a-t-il pas dit la première fois qu’il le vit nu : « Tu es une chanterelle, mais ce n’est pas une raison pour t’accuser d’être mal foutu » et après ce jugement d’ensemble venaient des appréciations de détail dont le souvenir, s’il colore les joues