Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/104

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occidentale, et regrettons qu’il n’ait pas su voir clairement où se trouvent les véritables causes susceptibles d’amener cette ruine, quoiqu’il lui arrive parfois de faire preuve d’une juste sévérité à l’égard de certains aspects du monde moderne. C’est même là ce qui fait le continuel flottement de sa thèse : d’une part, il ne sait pas exactement quels sont les adversaires qu’il devrait combattre, et, d’autre part, son « traditionalisme » le laisse fort ignorant de tout ce qui est l’essence même de la tradition, qu’il confond visiblement avec une sorte de « conservatisme » politico-religieux de l’ordre le plus extérieur.

Nous disons que l’esprit de M. Massis est troublé par la peur ; la meilleure preuve en est peut-être l’attitude extraordinaire, et même tout à fait inconcevable, qu’il prête à ses soi-disant « propagandistes orientaux » : ceux-ci seraient animés d’une haine farouche à l’égard de l’Occident, et c’est pour nuire à celui-ci qu’ils s’efforceraient de lui communiquer leurs propres doctrines, c’est-à-dire de lui faire don de ce qu’ils ont eux-mêmes de plus précieux, de ce qui constitue en quelque sorte la substance même de leur esprit ! Devant tout ce qu’il y a de contradictoire dans une telle hypothèse, on ne peut s’empêcher d’éprouver une véritable stupéfaction : toute la thèse péniblement échafaudée s’écroule instantanément, et il semble que l’auteur ne s’en soit pas même aperçu, car nous ne voulons pas supposer qu’il ait été conscient d’une pareille invraisemblance et qu’il ait tout simplement compté sur le peu de clairvoyance de ses lecteurs pour la leur faire accepter. Il n’y a pas besoin de réfléchir bien longuement ni bien profondément pour se rendre compte que, s’il y a des gens qui haïssent si fort l’Occident, la première chose qu’ils doivent faire est de garder jalousement leurs doctrines pour eux, et que tous leurs efforts doivent tendre à en interdire l’accès aux Occidentaux ; c’est d’ailleurs là un reproche qu’on a quelquefois adressé aux Orientaux, avec plus d’apparence de raison. La vérité, pourtant, est assez différente : les représentants authentiques des doctrines traditionnelles n’éprouvent de haine pour personne, et leur réserve n’a qu’une seule cause : c’est qu’ils jugent parfaitement inutile d’exposer certaines vérités à ceux qui sont incapables de les comprendre ; mais ils n’ont jamais refusé d’en faire part à ceux, quelle que soit leur origine, qui possèdent les « qualifications » requises ; est-ce leur faute si, parmi ces derniers, il y a fort peu d’Occidentaux ? Et, d’un autre côté, si la masse orientale finit par être vraiment hostile aux