Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/103

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pour attirer à eux les esprits qui cherchent autre chose que des spéculations « profanes » et qui, au milieu du chaos présent, ne savent où s’adresser ; nous nous étonnons un peu que M. Massis n’en dise à peu près rien. Quant au second groupe, nous y trouvons quelques-uns de ces Orientaux occidentalisés dont nous parlions tout à l’heure, et qui, tout aussi ignorants que les précédents des véritables idées orientales, seraient fort incapables de les répandre en Occident, à supposer qu’ils en eussent l’intention ; du reste, le but qu’ils se proposent réellement est tout contraire à celui-là, puisqu’il est de détruire ces mêmes idées en Orient, et de présenter en même temps aux Occidentaux leur Orient modernisé, accommodé aux théories qui leur ont été enseignées en Europe ou en Amérique ; véritables agents de la plus néfaste de toutes les propagandes occidentales, de celle qui s’attaque directement à l’intelligence, c’est pour l’Orient qu’ils sont un danger, et non pour l’Occident dont ils ne sont que le reflet. Pour ce qui est des vrais Orientaux, M. Massis n’en mentionne pas un seul, et il aurait été bien en peine de le faire, car il n’en connaît certainement aucun ; l’impossibilité où il se trouvait de citer le nom d’un Oriental qui ne fût pas occidentalisé eût dû lui donner à réfléchir et lui faire comprendre que les « propagandistes orientaux » sont parfaitement inexistants.

D’ailleurs, bien que cela nous oblige à parler de nous, ce qui est peu dans nos habitudes, nous devons déclarer formellement ceci : il n’y a, à notre connaissance, personne qui ait exposé en Occident des idées orientales authentiques, sauf nous-même ; et nous l’avons toujours fait exactement comme l’aurait fait tout Oriental qui s’y serait trouvé amené par les circonstances, c’est-à-dire sans la moindre intention de « propagande » ou de « vulgarisation », et uniquement pour ceux qui sont capables de comprendre les doctrines telles qu’elles sont, sans qu’il y ait lieu de les dénaturer sous prétexte de les mettre à leur portée ; et nous ajouterons que, malgré la déchéance de l’intellectualité occidentale, ceux qui comprennent sont encore moins rares que nous ne l’aurions supposé, tout en n’étant évidemment qu’une petite minorité. Une telle entreprise n’est certes pas du genre de celles que M. Massis imagine, nous n’osons dire pour les besoins de sa cause, quoique le caractère politique de son livre puisse autoriser une telle expression ; disons, pour être aussi bienveillant que possible, qu’il les imagine parce que son esprit est troublé par la peur que fait naître en lui le pressentiment d’une ruine plus ou moins prochaine de la civilisation