Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/24

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civilisations orientales, et, de l’autre, une civilisation proprement antitraditionnelle, qui est la civilisation occidentale moderne.

Pourtant, certains ont été jusqu’à contester que la division même de l’humanité en Orient et Occident corresponde à une réalité ; mais, tout au moins pour l’époque actuelle, cela ne semble pas pouvoir être sérieusement mis en doute. D’abord, qu’il existe une civilisation occidentale, commune à l’Europe et à l’Amérique, c’est là un fait sur lequel tout le monde doit être d’accord, quel que soit d’ailleurs le jugement qu’on portera sur la valeur de cette civilisation. Pour l’Orient, les choses sont moins simples, parce qu’il existe effectivement, non pas une, mais plusieurs civilisations orientales ; mais il suffit qu’elles possèdent certains traits communs, ceux qui caractérisent ce que nous avons appelé une civilisation traditionnelle, et que ces mêmes traits ne se trouvent pas dans la civilisation occidentale, pour que la distinction et même l’opposition de l’Orient et de l’Occident soit pleinement justifiée. Or il en est bien ainsi, et le caractère traditionnel est en effet commun à toutes les civilisations orientales, pour lesquelles nous rappellerons, afin de mieux fixer les idées, la division générale que nous avons adoptée précédemment, et qui, bien que peut-être un peu trop simplifiée si l’on voulait entrer dans le détail, est cependant exacte quand on s’en tient aux grandes lignes : l’Extrême-Orient, représenté essentiellement par la civilisation chinoise ; le Moyen-Orient, par la civilisation hindoue ; le Proche-Orient, par la civilisation islamique. Il convient d’ajouter que cette dernière, à bien des égards, devrait plutôt être regardée comme intermédiaire entre l’Orient et l’Occident, et que beaucoup de ses caractères la rapprochent même surtout de ce que fut la civilisation occidentale du moyen âge ; mais, si on l’envisage par rapport à l’Occident moderne, on doit reconnaître qu’elle s’y oppose au même titre que les civilisations proprement orientales, auxquelles il faut donc l’associer à ce point de vue.

C’est là ce sur quoi il est essentiel d’insister : l’opposition de l’Orient et de l’Occident n’avait aucune raison d’être lorsqu’il y avait aussi en Occident des civilisations traditionnelles ; elle n’a donc de sens que s’il s’agit spécialement de l’Occident moderne, car cette opposition est beaucoup plus celle de deux esprits que celle de deux entités géographiques plus ou moins nettement définies. À certaines époques, dont la plus proche de nous est le moyen âge, l’esprit occidental ressemblait fort, par ses côtés