Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/25

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les plus importants, à ce qu’est encore aujourd’hui l’esprit oriental, bien plus qu’à ce qu’il est devenu lui-même dans les temps modernes ; la civilisation occidentale était alors comparable aux civilisations orientales, au même titre que celles-ci le sont entre elles. Il s’est produit, au cours des derniers siècles, un changement considérable, beaucoup plus grave que toutes les déviations qui avaient pu se manifester antérieurement en des époques de décadence, puisqu’il va même jusqu’à un véritable renversement dans la direction donnée à l’activité humaine ; et c’est dans le monde occidental exclusivement que ce changement a pris naissance. Par conséquent, lorsque nous disons esprit occidental, en nous référant à ce qui existe présentement, ce qu’il faut entendre par là n’est pas autre chose que l’esprit moderne ; et, comme l’autre esprit ne s’est maintenu qu’en Orient, nous pouvons, toujours par rapport aux conditions actuelles, l’appeler esprit oriental. Ces deux termes, en somme, n’expriment rien d’autre qu’une situation de fait ; et, s’il apparaît bien clairement que l’un des deux esprits en présence est effectivement occidental, parce que son apparition appartient à l’histoire récente, nous n’entendons rien préjuger quant à la provenance de l’autre, qui fut jadis commun à l’Orient et à l’Occident, et dont l’origine, à vrai dire, doit se confondre avec celle de l’humanité elle-même, puisque c’est là l’esprit que l’on pourrait qualifier de normal, ne serait-ce que parce qu’il a inspiré toutes les civilisations que nous connaissons plus ou moins complètement, à l’exception d’une seule, qui est la civilisation occidentale moderne.

Quelques-uns, qui n’avaient sans doute pas pris la peine de lire nos livres, ont cru devoir nous reprocher d’avoir dit que toutes les doctrines traditionnelles avaient une origine orientale, que l’antiquité occidentale elle-même, à toutes les époques, avait toujours reçu ses traditions de l’Orient ; nous n’avons jamais rien écrit de semblable, ni même rien qui puisse suggérer une telle opinion, pour la simple raison que nous savons très bien que cela est faux. En effet, ce sont précisément les données traditionnelles qui s’opposent nettement à une assertion de ce genre : on trouve partout l’affirmation formelle que la tradition primordiale du cycle actuel est venue des régions hyperboréennes ; il y eut ensuite plusieurs courants secondaires, correspondant à des périodes diverses, et dont un des plus importants, tout au moins parmi ceux dont les vestiges sont encore discernables, alla incontestablement de l’Occident vers l’Orient. Mais tout cela se rapporte à