Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/30

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encore un instant sur les idées de restauration d’une « tradition occidentale », telles que nous pouvons les observer autour de nous. Une seule remarque suffirait à montrer que ces idées ne sont point « dans l’ordre », s’il est permis de s’exprimer ainsi : c’est qu’elles sont presque toujours conçues dans un esprit d’hostilité plus ou moins avouée vis-à-vis de l’Orient. Ceux mêmes qui voudraient s’appuyer sur le Christianisme sont parfois, il faut bien le dire, animés de cet esprit ; ils semblent chercher avant tout à découvrir des oppositions qui, en réalité, sont parfaitement inexistantes ; et c’est ainsi que nous avons entendu émettre cette opinion absurde, que, si les mêmes choses se trouvent à la fois dans le Christianisme et dans les doctrines orientales, et exprimées de part et d’autre sous une forme presque identique, elles n’ont cependant pas la même signification dans les deux cas, qu’elles ont même une signification contraire ! Ceux qui émettent de semblables affirmations prouvent par là que, quelles que soient leurs prétentions, ils ne sont pas allés bien loin dans la compréhension des doctrines traditionnelles, puisqu’ils n’ont pas entrevu l’identité fondamentale qui se dissimule sous toutes les différences de formes extérieures, et que, là même où cette identité devient tout à fait apparente, ils s’obstinent encore à la méconnaître. Aussi ceux-là n’envisagent-ils le Christianisme lui-même que d’une façon tout à fait extérieure, qui ne saurait répondre à la notion d’une véritable doctrine traditionnelle, offrant dans tous les ordres une synthèse complète ; c’est le principe qui leur manque, en quoi ils sont affectés, beaucoup plus qu’ils ne le peuvent penser, de cet esprit moderne contre lequel ils voudraient pourtant réagir ; et, lorsqu’il leur arrive d’employer le mot de « tradition », ils ne le prennent certainement pas dans le même sens que nous.

Dans la confusion mentale qui caractérise notre époque, on en est arrivé à appliquer indistinctement ce même mot de « tradition » à toutes sortes de choses, souvent fort insignifiantes, comme de simples coutumes sans aucune portée et parfois d’origine toute récente ; nous avons signalé ailleurs un abus du même genre en ce qui concerne le mot de « religion ». Il faut se méfier de ces déviations du langage, qui traduisent une sorte de dégénérescence des idées correspondantes ; et ce n’est pas parce que quelqu’un s’intitule « traditionaliste » qu’il est sûr qu’il sache, même imparfaitement, ce qu’est la tradition au vrai sens de ce mot. Pour notre part, nous nous refusons absolument à donner ce nom à tout ce qui est