Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/32

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un instant, le retour à la tradition aurait, parmi ses premiers résultats, celui de rendre une entente avec l’Orient immédiatement possible, comme elle l’est entre toutes les civilisations qui possèdent des éléments comparables ou équivalents, et entre celles-là seulement, car ce sont ces éléments qui constituent l’unique terrain sur lequel cette entente puisse s’opérer valablement. Le véritable esprit traditionnel, de quelque forme qu’il se revête, est partout et toujours le même au fond ; les formes diverses, qui sont spécialement adaptées à telles ou telles conditions mentales, à telles ou telles circonstances de temps et de lieu, ne sont que des expressions d’une seule et même vérité ; mais il faut pouvoir se placer dans l’ordre de l’intellectualité pure pour découvrir cette unité fondamentale sous leur apparente multiplicité. D’ailleurs, c’est dans cet ordre intellectuel que résident les principes dont tout le reste dépend normalement à titre de conséquences ou d’applications plus ou moins éloignées ; c’est donc sur ces principes qu’il faut s’accorder avant tout, s’il doit s’agir d’une entente vraiment profonde, puisque c’est là tout l’essentiel ; et, dès lors qu’on les comprend réellement, l’accord se fait de lui-même. Il faut remarquer, en effet, que la connaissance des principes, qui est la connaissance par excellence, la connaissance métaphysique au vrai sens de ce mot, est universelle comme les principes eux-mêmes, donc entièrement dégagée de toutes les contingences individuelles, qui interviennent au contraire nécessairement dès qu’on en vient aux applications ; aussi ce domaine purement intellectuel est-il le seul où il n’y ait pas besoin d’un effort d’adaptation entre mentalités différentes. En outre, lorsqu’un travail de cet ordre est accompli, il n’y a plus qu’à en développer les résultats pour que l’accord dans tous les autres domaines se trouve également réalisé, puisque,comme nous venons de le dire, c’est là ce dont tout dépend directement ou indirectement ; par contre, l’accord obtenu dans un domaine particulier, en dehors des principes, sera toujours éminemment instable et précaire, et beaucoup plus semblable à une combinaison diplomatique qu’à une véritable entente. C’est pourquoi celle-ci, nous y insistons encore, ne peut s’opérer réellement que par en haut, et non par en bas, et ceci doit s’entendre en un double sens : il faut partir de ce qu’il y a de plus élevé,c’est-à-dire des principes, pour descendre graduellement aux divers ordres d’applications en observant toujours rigoureusement la dépendance hiérarchique qui existe entre eux ; et cette œuvre, par son caractère même, ne peut être que celle d’une élite, en donnant à ce mot son acception la plus