Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/64

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qu’on peut éprouver pour lui des sentiments comparables à ceux qu’on éprouve à l’égard d’un homme supérieur ; et, en même temps, par l’appel au « subconscient », on en arrive à rejoindre le spiritisme et toutes les « pseudo-religions » caractéristiques de notre époque, que nous avons étudiées dans d’autres ouvrages. D’un autre côté, la morale protestante, éliminant de plus en plus toute base doctrinale, finit par dégénérer en ce qu’on appelle la « morale laïque », qui compte parmi ses partisans les représentants de toutes les variétés du « Protestantisme libéral », aussi bien que les adversaires déclarés de toute idée religieuse ; au fond, chez les uns et les autres, ce sont les mêmes tendances qui prédominent, et la seule différence est que tous ne vont pas aussi loin dans le développement logique de tout ce qui s’y trouve impliqué.

En effet, la religion étant proprement une forme de la tradition, l’esprit anti-traditionnel ne peut être qu’antireligieux ; il commence par dénaturer la religion, et, quand il le peut, il finit par la supprimer entièrement. Le Protestantisme est illogique en ce que, tout en s’efforçant d’« humaniser » la religion, il laisse encore subsister malgré tout, au moins en théorie, un élément supra-humain, qui est la révélation ; il n’ose pas pousser la négation jusqu’au bout, mais, en livrant cette révélation à toutes les discussions qui sont la conséquence d’interprétations purement humaines, il la réduit en fait à n’être bientôt plus rien ; et, quand on voit des gens qui, tout en persistant à se dire « chrétiens », n’admettent même plus la divinité du Christ, il est permis de penser que ceux-là, sans s’en douter peut-être, sont beaucoup plus près de la négation complète que du véritable Christianisme. De semblables contradictions, d’ailleurs, ne doivent pas étonner outre mesure, car elles sont, dans tous les domaines, un des symptômes de notre époque de désordre et de confusion, de même que la division incessante du Protestantisme n’est qu’une des nombreuses manifestations de cette dispersion dans la multiplicité qui, comme nous l’avons dit, se retrouve partout dans la vie et la science modernes. D’autre part, il est naturel que le Protestantisme, avec l’esprit de négation qui l’anime, ait donné naissance à cette « critique » dissolvante qui, dans les mains des prétendus « historiens des religions », est devenue une arme de combat contre toute religion, et qu’ainsi, tout en prétendant ne reconnaître d’autre autorité que celle des Livres sacrés, il ait contribué pour une large part à la destruction de cette même autorité, c’est-à-dire du minimum de