Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/8

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qu’enseignent à cet égard toutes les doctrines traditionnelles. Il y a déjà eu dans le passé bien des événements de ce genre, et sans doute y en aura-t-il encore d’autres dans l’avenir ; événements d’importance inégale, du reste, selon qu’ils terminent des périodes plus ou moins étendues et qu’ils concernent, soit tout l’ensemble de l’humanité terrestre, soit seulement l’une ou l’autre de ses portions, une race ou un peuple déterminé. Il est à supposer, dans l’état présent du monde, que le changement qui interviendra aura une portée très générale, et que, quelle que soit la forme qu’il revêtira, et que nous n’entendons point chercher à définir, il affectera plus ou moins la terre tout entière. En tout cas, les lois qui régissent de tels événements sont applicables analogiquement à tous les degrés ; aussi ce qui est dit de la « fin du monde », en un sens aussi complet qu’il est possible de la concevoir, et qui d’ailleurs ne se rapporte d’ordinaire qu’au monde terrestre, est-il encore vrai, toutes proportions gardées, lorsqu’il s’agit simplement de la fin d’un monde quelconque, entendue en un sens beaucoup plus restreint.

Ces observations préliminaires aideront grandement à comprendre les considérations qui vont suivre ; nous avons déjà eu l’occasion, dans d’autres ouvrages, de faire assez souvent allusion aux « lois cycliques » ; il serait d’ailleurs peut-être difficile de faire de ces lois un exposé complet sous une forme aisément accessible aux esprits occidentaux, mais du moins est-il nécessaire d’avoir quelques données sur ce sujet si l’on veut se faire une idée vraie de ce qu’est l’époque actuelle et de ce qu’elle représente exactement dans l’ensemble de l’histoire du monde. C’est pourquoi nous commencerons par montrer que les caractères de cette époque sont bien réellement ceux que les doctrines traditionnelles ont indiqués de tout temps pour la période cyclique à laquelle elle correspond ; et ce sera aussi montrer que ce qui est anomalie et désordre à un certain point de vue est pourtant un élément nécessaire d’un ordre plus vaste, une conséquence inévitable des lois qui régissent le développement de toute manifestation. Du reste, disons-le tout de suite, ce n’est pas là une raison pour se contenter de subir passivement le trouble et l’obscurité qui semblent momentanément triompher, car, s’il en était ainsi, nous n’aurions qu’à garder le silence ; c’en est une, au contraire, pour travailler, autant qu’on le peut, à préparer la sortie de cet « âge sombre » dont bien des indices permettent déjà d’entrevoir la fin plus ou moins prochaine, sinon tout à fait imminente. Cela aussi est dans l’ordre, car l’équilibre est le résultat de l’action simultanée de