Page:René de Pont-Jest - Divorcée.djvu/157

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ma situation : ne voulant pas fournir l’ombre d’un prétexte à la malveillance, je suis par conséquent forcée de me priver d’être des vôtres lorsque vous avez des visiteurs. Ici l’on s’amuse, l’on rit, on est heureux, et, de cœur, je m’associe à vos joies, mais tout cela m’est interdit. Après le malheur qui m’est arrivée, ou, pour mieux dire : après la faute que j’ai commise, je me suis juré, en revenant vivre auprès de ma mère, de racheter le passé par une existence exemplaire. J’ai là-bas, bien loin, en Amérique, un fils que Dieu me permettra peut-être de revoir, et je veux redevenir digne de lui. Depuis cinq ans, je n’ai conservé de relations qu’avec la famille Meyrin, je ne suis pas entrée une seule fois dans un théâtre et je ne me suis fait qu’une nouvelle amie : vous, dont l’affection m’est si précieuse et me cause si grand plaisir qu’il m’arrive parfois de me la reprocher, comme un bonheur que je ne devrais pas me donner. N’insistez donc pas, je vous en prie. Il me semble d’ailleurs que je vous aime plus et mieux encore lorsque nous sommes seules.

Cette réponse de Marthe avait touché mais en même temps douloureusement ému Mme Paul Meyrin, en lui rappelant qu’elle avait, elle aussi, des enfants à l’étranger, enfants qui portaient un autre nom que le sien, dont elle était à jamais séparée, que la mort même de leur père ne lui rendrait pas, qu’elle ne pourrait soigner s’ils tombaient malades, qui ne lui fermeraient pas les yeux et ne pleureraient pas à son chevet à l’heure de la séparation éternelle.

La malheureuse mère avait alors failli maudire le divorce qui avait fait d’elle une inconnue pour ceux qu’elle aimait, et elle s’était bien gardée de reparler, avec Mme Daubrel, de ces choses si pénibles pour toutes deux.

Heureusement que, sur ces entrefaites, Lise reconnut qu’elle était enceinte. Cette nouvelle maternité fut pour elle une suprême consolation. Son mari en parut également ravi, et cela lui faisait regretter davantage encore les vains efforts de Marthe et de tous ceux qui se joignaient constamment à elle pour amener le rapprochement de Mme Frantz.