Page:René de Pont-Jest - La Bâtarde.djvu/31

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Il esquissa un salut qu’on lui rendit à peine, et le dîner commença, cérémonieux et silencieux comme entre gens qui ne savent même pas leurs noms et se défient un peu les uns des autres.

Nulle existence, d’ailleurs, n’est plus faite d’égoïsme que celle a laquelle condamne une longue traversée.

À bord, on craint instinctivement les concessions, la politesse, les prévenances de la veille, dans la peur d’être obligé aux mêmes concessions, à la même politesse, aux mêmes prévenances le lendemain. La monotonie de la vie qu’on mène aigrit les caractères les plus souples, les plus conciliants.

Cette régularité d’occupations fait prendre en grippe les gens qui les dirigent. Ces mêmes visages qu’on a toujours en face de soi, ces mêmes voix qui résonnent, ces mêmes récits qu’on entend ; tout cela énerve et irrite.

Les longues traversées peuvent faire naître çà et là des affections d’autant plus réelles et plus profondes qu’elles sont des exceptions, mais elles sont plus fertiles en antipathies ridicules, en haines irréfléchies qui survivent souvent au voyage, comme si l’on ne pouvait se pardonner à soi-même de les avoir conçues.