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Les passagers d’un bâtiment se réunissent parfois dans l’après-midi ou le soir, sur la dunette ou dans la chambre commune, pour causer, jouer, faire de la musique, et ils se quittent les meilleurs amis du monde ; puis, le lendemain, ils se séparent, vivent isolés, n’échangent plus une parole, pas même un salut, et s’éloignent les uns des autres. Tout cela sans motifs, sans raison.

Il est vrai que le jour suivant, un oiseau réfugié sur les vergues, une épave aperçue au large, la forme bizarre d’un nuage, l’apparition d’un requin dans le sillage ou d’un banc de marsouins à l’avant, l’incident le plus insignifiant enfin groupe de nouveau ces exilés de la terre, qu’une nouvelle bouffée de misanthropie divisera peut-être un instant plus tard.

Le long séjour à bord est surtout pénible et douloureux pour les femmes. Les fibres nerveuses et impressionnables de leur constitution souffrent des brusques changements de température et des variations météorologiques. L’isolement leur pèse, le manque de soutien les effraye, l’immensité les épouvante.

Elles sont là comme de pauvres âmes en peine qu’un rien pourrait faire envoler.

Si quelques-unes, pendant les premiers jours,