Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/136

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« Un homme descendit du premier palanquin, s’approcha de moi, et d’une voix bienveillante, me demanda ce qui était arrivé.

« Je lui fis le récit de l’agression injuste et meurtrière dont nous venions d’être les victimes.

« Puis je terminai mon récit en m’écriant :

« — Sahib, ayez pitié de nous !

« — Ce sont des pouliahs ! des maudits ! hurlèrent quelques furieux : à mort !

« Et leurs fusils s’abaissèrent.

« À cet instant une femme, un ange apparut.

« Celle que je vis apparaître alors à côté du chef cipaye, et qui était descendue du second palanquin, semblait appartenir, tant sa grâce et sa beauté étaient divines, plutôt aux visions enivrantes que donne le hachich qu’à la nature même.

« Il y avait de la fleur, de l’odalisque et de la déesse tout à la fois dans cette radieuse jeune femme. Son sourire pourpre découvrait en naissant des perles d’une beauté et d’un éclat plus grands que celles que possèdent les perles les plus renommées de Ceylan.

« Ses yeux semblaient frangés de velours, ce qui adoucissait l’éclat de leurs prunelles noires, en traçant un grand contour en forme d’amande autour d’eux.

« Sa chevelure d’ébène, retenue par des torsades garnies de grosses perles, rehaussant leur ton foncé, était divisée sur les tempes en deux nattes, qui tombaient jusqu’à ses genoux.

« Oubliant tout à sa vue, je ne songeais plus à me soustraire au danger.

« L’adorable créature y songea pour moi.

« — Je ne veux pas que vous tuiez ces pauvres pouliahs, dit-elle.

« Et comme ceux qui nous menaçaient hésitaient.

« — Tenez, ajouta-t-elle, je vous achète leur vie.

« Et se dépouillant de ses bijoux, dont le moindre valait au moins mille roupies, elle les jeta aux furieux.

« Cette largesse les apaisa.

« Ému au dernier des points, je riais et je pleurais de joie.

« Le chef cipaye reprit la parole :

« — Cet homme est donc votre père ? me dit-il en désignant Nar-Hali.

« — Oui, répondis-je.

« — Qu’on le place dans mon palanquin, dit-il aux bahis stupéfaits.

« Puis s’adressant à la jeune femme qui me semblait plus belle que Lakhmi :

« — Vous voyez, ma chère Nahouâ, ajouta-t-il, que j’aime à m’associer à tous vos bienfaits.