Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/138

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L’auditoire avait suivi avec une attention extrême la déposition du psylle.

Pendant quelques secondes, on n’entendit que les sanglots du jeune homme.

Tous les assistants semblaient douloureusement émus.

Les Thugs seuls paraissaient de marbre, et même un ironique sourire plein d’orgueilleuse satisfaction errait sur les lèvres de Feringhea.

— Schiba, dit le président, nous comprenons votre émotion, mais il faut poursuivre votre récit.

— Pardon, mylord, répondit l’Hindou, mais lorsque je songe à ma chère maîtresse, lorsque je me souviens de cette nuit sanglante et terrible, je ne puis résister à ma douleur.

Et faisant un suprême effort, il reprit :

— D’immenses jardins entouraient l’habitation du Sahib.

« Ces jardins à plusieurs étages, entourés de murailles, formaient le plus frais et le plus agréable abri qu’on pût rêver.

« Mon père ne tarda pas à se guérir, mais un an après, il mourut, emporté par une fièvre pernicieuse que nul remède ne put combattre.

« Le Sahib et Nahouâ l’entourèrent de tous les soins possibles jusqu’à sa mort, et ils le firent ensuite transporter à l’endroit où on brûle les corps.

« Aussi mon attachement pour ceux qui nous avaient recueillis était-il sans bornes.

« Un jour, le Sahib me fit appeler.

« — Je pars, me dit-il ; veille sur Nahouâ pendant mon absence et tâche de la distraire. Je la mets sous la garde de ta reconnaissance et de ton dévouement. Dans un mois je reviendrai.

« Il partit.

« J’étais fier de la mission qui m’avait été confiée.

« Tant que je vivrai, Nahouâ n’a rien à redouter des bêtes et des hommes, me disais-je.

« Si un tigre se jetait sur elle, je tuerais le tigre et je la sauverais.

« Si dix assassins la menaçaient de leur poignard, je lutterais contre eux et je résisterais assez pour assurer, même vaincu, son salut dans la fuite.

« J’étais calme et résolu, et quoique n’ayant vraisemblablement rien à redouter pour ma maîtresse, j’éprouvais parfois de vagues pressentiments que j’avais peine à dissiper, tout en me raillant moi-même de me laisser envahir par eux.

« Une image sinistre revenait fréquemment dans mes rêves.

« Cette image était la sienne. »

Et Schiba désigna du geste le chef des étrangleurs.

— La menace qu’avait proférée Feringhea en nous quittant après la mort