Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/139

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du Thug que la vipère naja avait tué, résonnait parfois à mes oreilles comme un glas funèbre.

« — Par Kâly, la sanglante déesse, nous nous vengerons ! avait-il dit.

« Un jour que j’étais dans le jardin, un bruit vague arriva jusqu’à moi.

« Il partait du bas de la muraille.

« C’était un murmure de voix confuses.

« Je me penchai pour examiner ce qui se passait sur la route qui bordait la demeure du Sahib.

« Une caravane s’était arrêtée au pied de la terrasse.

« Deux éléphants blancs et un palanquin avec trente hommes environ la composaient.

« Les hommes portaient le costume des marchands et les éléphants étaient chargés de ballots.

« Ces circonstances auraient dû me rassurer, et cependant mon inquiétude redoubla, car il me semblait que je reconnaissais quelques-uns de ces hommes.

« Je suis fou ! pensai-je au bout de quelques moments d’examen. Le Sahib doit revenir bientôt. Nos bahis nous sont dévoués. Quel danger peut menacer Nahouâ ? Aucun !

« Je regagnai l’habitation, et montai dans la chambre de la femme du Sahib.

« Elle se trouvait dans la pièce qui lui servait de boudoir et de salon.

« J’avais coutume de lui tenir compagnie et de lui faire la lecture chaque soir.

« Lorsque Nahouâ me quitta, je me promis de veiller toute la nuit.

« Je m’établis dans la salle qui se trouvait à côté de la chambre de ma maîtresse, et, après avoir garni ma ceinture de deux pistolets et d’un poignard, je m’étendis sur une natte, et j’attendis.

« Les heures s’écoulèrent silencieuses.

« Je vis reparaître les premiers rayons de l’aurore.

« J’étais rassuré.

« Tout à coup une plainte vague, qui venait du jardin, frappa mes oreilles.

« Des cris étouffés lui succédèrent.

« D’un bond, je me précipitai dans la chambre de Nahouâ.

« Cette chambre était vide.

« Je m’élançai dans le jardin.

« Mais à peine y avais-je fait quelques pas que je fus saisi par plusieurs hommes qui sortirent des massifs, et, avant que j’eusse pu faire usage de mes armes, ils m’enlevèrent mon poignard, ainsi qu’un de mes pistolets, me garrottèrent et me bâillonnèrent étroitement.