Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/143

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toire. Il se trouve que nous étions un peu parents, puisque la cousine de sa grand’mère était la sœur de lait de mon oncle Rampal, le droguiste.

— Mais cette femme, qu’est-elle devenue ?

— Ze l’ai tuée.

— Comment ! vous l’avez tuée ! Et pourquoi ?

— Pourquoi ? Elle voulait m’étrangler. Quand ze vis que c’était une payse et même que nous étions un peu parents à cause que mon oncle Rampal, le droguiste, il avait été le frère de lait de la cousine de ma grand’mère, je lui dis : « Puisque tu as épousé un Indien, à la suite d’un naufraze, et que ton mari il fait le métier d’Étrangleur, il faut revenir à Marseille. »

« Alors elle se mit à pleurer, en me disant qu’elle avait prêté le serment au bon dieu des Thugs, qu’elle était bien malheureuse, et patati et patata. Alors, ze vais dans un bois qui était près de là avec ma payse, mais à peine nous y sommes entrés qu’elle me passe un mouchoir autour du cou pour m’étrangler. Alors, ze n’en fais ni une ni deux, ze lui allonge un coup de poing qu’elle en est morte.

« Son dernier cri il a été Feringhea ! Feringhea !

« — Qu’il y vienne, ton Feringhea, et Bonaventure Roustan lui fera son affaire ! lui répondis-je.

« Puis, ze suis rentré à bord tranquille comme Baptiste. Z’ai tout raconté au capitaine qui m’a dit : « Tu as de la sance (chance), mon brave Roustan. »

« Voilà, mon président, tout ce qui s’est passé, par un fifrelin de plus, pas un fifrelin de moins. »

Et très-fier du succès d’hilarité obtenu par son récit, car malgré tout ce qui s’y trouvait de tragique, sa façon de raconter avait déridé l’auditoire et les juges eux-mêmes, Roustan salua militairement.

Puis il réintégra sa chique à son endroit favori et rejoignit sa place en se dandinant.

La cour passa aussitôt à l’audition d’un autre témoin.


XVII

LE CHINOIS MENG-TSEU.



Ce témoin était un Chinois de Macao ; il portait le costume des lettrés, c’est-à-dire une longue robe de crêpe blanc et des pantalons de soie. Ses pieds étaient chaussés de sabots nommés lys d’or. C’était un vieillard dont le visage pâli exprimait une profonde douleur.

Derrière ses grosses bésicles d’écailles brillaient de petits yeux noirs