Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/204

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« Au bout d’une heure d’attente, je levai avec précaution la tête ; mais, au même moment, une autre tête se leva en face de moi. C’était un des étrangleurs ; je l’avais remarqué parmi la troupe. Il était facile à reconnaître, car il avait une taille démesurément élevée.

« À cette vue, je demeurai paralysé de frayeur. Lui, au lieu de s’élancer sur moi, me fixa de ses regards étincelants et resta immobile.

« Nous demeurâmes ainsi fort longtemps à nous regarder ; puis, il se leva enfin et, s’avançant lentement vers moi, il me dit :

« — Connais-tu cette forêt ?

« Je répondis : Oui, à tout hasard.

« — Alors, montre-moi le chemin, me commanda-t-il, et marche droit, sinon, à la moindre tentative d’évasion, je t’étrangle.

« Et il montrait une large main, capable d’enserrer deux cous comme le mien.

« Je voulus marcher à côté de lui, mais il me força à me tenir à deux pas en avant, ce qui me causait une épouvantable terreur, car, à chaque instant, je croyais sentir le fatal mouchoir fouetter autour de mon cou.

« Cependant je marchais toujours, espérant et craignant tout à la fois de trouver une issue quelconque, car j’étais persuadé que le Thug ne me laissait la vie que parce qu’il ne savait comment sortir de la forêt. J’étais certain qu’il m’étranglerait dès qu’il aurait retrouvé sa route.

« En attendant, les heures se passaient et nous marchions toujours. Quand la nuit arriva nous étions encore dans la partie la plus épaisse du jungle.

« — Arrêtons-nous, m’ordonna mon compagnon ; je suis fatigué.

« Et il me fit asseoir en face de lui, tira quelques légères provisions d’un sac qu’il portait et les partagea avec moi. Il nourrissait son guide !

« Il me fit ensuite ramasser une grande quantité de bois, et nous allumâmes un grand feu pour éloigner les bêtes féroces.

« Cela fait , le Thug me dit de m’étendre à terre ; je n’osai résister. Il me dépouilla de mon turban, me noua solidement les mains et les pieds, puis il se coucha et s’endormit. J’aurais bien voulu en faire autant, car j’étais épuisé de fatigue, mais la peur me tenait éveillé.

« Quelques heures s’écoulèrent ainsi, puis le feu s’éteignit.

« J’entendis alors dans le lointain les rugissements des bêtes féroces. Le bruit se rapprochait rapidement, et tout à coup je crus voir un tigre. Je jetai un cri pour réveiller le Thug. Heureusement il m’entendit. Il se leva, poussa de grands cris, raviva le feu, et les fauves s’éloignèrent.

« Le restant de la nuit s’écoula tranquillement, et le lendemain matin, le Thug me délia.

« Nous reprîmes notre route.