Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/207

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misérables m’ont longtemps poursuivi dans le bois, et déjà je croyais leur avoir échappé, quand j’aperçus l’un d’eux placé en observation en face de moi. Je ne croyais pas revoir jamais ce bandit, mais le voilà, je le reconnais bien.

— Moi ! s’écria avec autant de surprise que d’épouvante Phaor, que le saltimbanque montrait du doigt.

— Oui, toi ! que j’aurais dû étrangler ce jour-là !

— Parlez à la cour, Jeerighee ; expliquez-nous ce que cela veut dire, ordonna le président à l’Hercule.

— Par Brahma ! Votre Honneur, la chose est bien simple. Lorsqu’après avoir échappé aux Thugs, je ne vis plus devant moi que cet avorton, dont je n’aurais fait qu’une bouchée, ma première intention fut de l’envoyer d’un tour de bras à sa grande déesse, mais je ne connais pas la forêt et je n’aurais jamais pu en sortir. Je me vengeai alors de celui qui avait voulu m’étrangler en en faisant mon guide. Il essaya bien de m’égarer, car il comprenait bien qu’une fois sur la route, je ne le laisserais pas échapper, mais pendant la nuit, je l’attachais solidement, et pendant que nous marchions, je ne le perdais par de l’œil.

« C’est ainsi que nous atteignîmes la lisière du bois, mais là, le démon, il disparut tout à coup. Je suis bien aise de le retrouver ici. »

Un éclat de rire général accueillit ces derniers mots. On comprenait que ces deux forts honnêtes Hindous s’étaient mutuellement fait peur en se prenant pour des Étrangleurs.

Un instant abasourdis par cette hilarité, Phaor et Jeerighee se rendirent enfin compte de leur situation réciproque, et prenant gaiement leur parti de leurs terreurs passées, il se tendirent la main en riant eux-mêmes, puis sortirent de la salle bras dessus bras dessous comme de vieux amis.

Par un hasard étrange, ou comme si la Providence eût voulu calmer un peu les esprits de ceux qui avaient entendu tous ces horribles récits dont nous nous sommes fait le sténographe, c’est par l’incident héroï-comique des deux faux Étrangleurs que se terminèrent les dépositions.

Jeerighee et Phaor étaient les derniers sur cette interminable liste de témoins dont nous n’avons fait comparaître que les plus importants devant nos lecteurs, afin de ne pas multiplier les tableaux sanglants de ces épisodes épouvantables, sans exemple bien certainement dans l’histoire de l’humanité.

Sir Georges Monby annonça à la foule que l’audition des témoins était terminée ; on accueillit cette nouvelle avec un soupir de satisfaction, et s’adressant ensuite à Feringhea, l’honorable magistrat ajouta :

— Vous, Feringhea, qui avez suivi ces débats avec une grande attention,