Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/211

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

sa mère, qu’il avait rencontrée priant aux pieds de la statue de Dourga, de sa mère qui priait pour lui peut-être !

« Le malheureux sir Edward Buttler vous a désigné dans sa déposition les misérables qu’il a reconnus et que vous avez là devant vous : Maha-Bita, l’assassin de son fils ; Davernéa, qui a aidé son chef à enlever lady Buttler ; Béronséa, qui porte encore sur son front la marque de la blessure que lui a faite sir Edward en se défendant. Ils ont, du reste, tous avoué : c’est avouer qu’ils méritent la mort.

« Mais cette association monstrueuse ne compte pas que des assassins actifs, luttant corps à corps avec leurs victimes, ou les tuant lâchement : elle renferme dans son sein toutes les classes de la société hindoue. Sur ce banc est un homme respecté jusqu’alors, Roumi-Khan.

« Il remplissait dans le district de Vellore des fonctions importantes, et il en usait pour protéger les Étrangleurs.

« C’était chez lui qu’ils trouvaient asile lorsqu’ils étaient menacés ; c’était lui qui plaidait leur cause auprès de nous.

« Je ne sais pas si celui-là n’est pas encore plus coupable que les autres !

« En échange de sa protection, il recevait sa part du butin ; il n’avait même pas les dangers de la lutte, il n’avait que le bénéfice de l’infamie.

« J’en dirai autant des brahmines qui, prêtres d’un Dieu de bonté et de conservation, prêtres de Vichnou, ne cachaient que mieux sous leurs robes jaunes, à l’abri de la vénération dont ils étaient entourés, leur complicité avec les Étrangleurs. Pour ceux-là comme pour les autres, je vous demande l’application rigoureuse de la loi. »

L’attorney général passa ainsi en revue soixante-dix-huit accusés, dont il rappela les crimes, et l’auditoire frémit plus d’une fois à cette nouvelle exposition des attentats monstrueux, dont l’Inde était le théâtre depuis tant d’années.

Cette première partie du réquisitoire dura près de trois heures, sans que les accusés changeassent d’attitude, sans qu’il fût possible de lire sur leurs physionomies brutales un mouvement de dénégation, de remords ou de terreur.

— Quant aux quatre-vingt-quinze autres accusés, dit l’attorney général en reprenant la parole, si je ne demande pas pour eux le dernier des supplices, ce n’est pas parce que je les crois dignes de pitié, c’est parce que mon esprit s’épouvante à la pensée de l’hécatombe humaine qu’il vous faudrait ordonner, si vous n’écoutiez que votre indignation, les cris des victimes, l’inflexibilité de la loi ; c’est parce que la justice, en admettant des degrés dans le crime, ordonne des degrés dans l’expiation ; c’est parce que je veux faire la part aussi du défaut d’éducation de ces hommes, de leurs mauvais instincts, de leur abrutissement ; c’est parce que je veux croire