Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/221

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le gouverneur de Madras, supposant que le prisonnier voulait faire quelque dernière révélation, s’était hâté de satisfaire à son désir, et sir Harry Moor s’était rendu au fort Saint-Georges.

Feringhea occupait dans la prison un cachot séparé, assez vaste, où, sans doute en reconnaissance des services qu’il avait rendus à la justice, il était traité avec une humanité relative.

Il n’avait les fers qu’aux pieds, et les nattes qui lui servaient de lit étaient épaisses et propres.

Lorsqu’il vit entrer l’officier anglais, il n’attendit pas que celui-ci l’interrogeât, il lui dit aussitôt :

— Sir Harry, je pourrais me plaindre du manque de parole dont je suis victime. On m’a promis la vie et la liberté, et je suis encore en prison ; demain on me conduira au supplice. Mais je n’adresse aucun reproche à l’autorité anglaise ; je veux au contraire mieux faire encore. Je lui rends sa parole ; elle pourra sans remords m’envoyer au gibet.

— Je ne sais si c’est là l’intention de sir William Bentick, interrompit sir Harry, frappé de la résignation et de la dignité de Feringhea.

— J’en suis certain, moi, reprit Feringhea, et je ne crois pas que le noble lord puisse faire autrement. Ce n’est donc ni de ma liberté ni de ma vie dont il s’agit. C’est une grâce de tout autre ordre que je sollicite de Sa Seigneurie, si elle croit me devoir l’ombre de gratitude.

— Laquelle ?… Je ne doute pas que sir William ne vous l’accorde.

— Nous autres Hindous, nous avons la faiblesse de croire à nos dieux et à une autre existence ; nous respectons et aimons nos prêtres, les interprètes des Vedas, et nous écoutons volontiers leurs conseils au moment où Yama nous appelle à lui. Eh bien, je désire voir un de nos brahmines.

— Dites-moi son nom.

— Romanshee, le savant brahmine de la pagode de Wichnou.

— Romanshee ! N’a-t-il pas été au nombre des accusés ?

— C’est vrai, mais seulement au début de l’instruction et l’innocence de Romanshee a éclaté bientôt d’une façon si complète que vous n’avez pu même le maintenir en état d’arrestation. C’était justice, car il ignore le premier mot du Thugisme. C’est un érudit dont tous les instants sont consacrés depuis déjà de longues années à l’étude de nos poëmes religieux. C’est lui que je voudrais voir avant de mourir.

— Dans un instant, je ferai part de votre désir à lord William Bentick.

— Je vous remercie, sir Harry ; c’est là tout ce que j’avais à vous dire.

Et saluant l’officier anglais, Feringhea s’étendit sous la natte qu’il avait quittée pour recevoir son visiteur.

Sir Harry Moor sortit.

Deux heures plus tard, la porte du cachot du chef des Thugs s’ouvrait