Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/238

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chamarrée, aux vêtements de mille couleurs. C’était un pauvre mendiant, un paria, qui depuis quelques jours était venu s’accroupir entre les pattes du lion de pierre qui dormait à la porte du palais.

Les menaces et les moqueries des domestiques auxquels Shubea, par pitié, avait cependant recommandé de l’épargner, l’avaient trouvé insensible. Rien n’avait pu l’éloigner.

Dès le matin, ceux qui étaient descendus les premiers l’avaient trouvé à son poste, étalant toujours les plaies hideuses dont ses bras et ses jambes étaient couverts, et psalmodiant ses interminables prières.

Le malheureux semblait ne pas pouvoir se traîner. Une lèpre affreuse avait dévoré ses chairs. Ses jambes, gonflées par l’éléphantiasis, étaient informes et ne le soutenaient qu’avec peine. Chacun de ses pas paraissait lui causer d’affreuses douleurs.

Il suivait de son œil glauque et mort tous ces préparatifs de départ, espérant sans doute quelque aumône du passage de la caravane, lorsque soudain et comme malgré lui ses regards lancèrent un éclair.

Moura-Sing descendait l’escalier de la varende, et, en même temps, ceux de ses amis qui voulaient l’accompagner entraient dans la cour au galop de leurs chevaux, et le saluaient de hourras bruyants.

Gaya, après un sourire à son maître, avait laissé tomber les stores de son palanquin, afin que les étrangers ne pussent la voir, et, pendant que Moura-Sing se hissait avec l’aide de ses gens sur son éléphant, ses porteurs la soulevaient et se plaçaient selon les indications de Seler, chargé de régler l’ordre de marche.

Un quart d’heure après, la caravane franchissait le seuil du palais et se dirigeait vers la porte de Golconde.

Au même instant le mendiant qui s’était traîné en gémissant sur le sol pendant une centaine de pas, se glissa derrière un arbre à l’abri de tous regards.

Là, il enleva rapidement les bandelettes noircies à l’aide desquelles il avait simulé ses horribles infirmités et bondit jusque sous le porche de la pagode, où un Hindou l’attendait, la bride de son cheval à la main et semblant faire ses dévotions.

Ils n’échangèrent que quelques paroles, et l’inconnu sauta en selle.

Cinq minutes plus tard, il dépassait la caravane qui venait à peine de quitter la ville et de s’étendre sur la route qui conduit d’Hyderabad à Bider.

Il disparut bientôt à l’horizon.

La matinée était fraîche et parfumée ; le long ruban gris du chemin se déroulait au loin, tâché çà et là seulement par quelques troupeaux de bœufs ou quelques pèlerins qui avaient voyagé de nuit.