Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/261

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— Ma mère ! Vous eussiez mieux fait, monsieur, de ne pas prononcer ce nom sacré, car son souvenir me force à vous dire : Vous m’avez caché ce que vous avez fait de ma mère ; j’ai le droit, moi, de ne pas vous rendre compte de ce que j’ai fait de mon cœur.

Sir Arthur, qui avait ouvert la porte en jetant à sa fille sa dernière insulte, la tira violemment à lui en jurant, et elle entendit le bruit de ses pas se perdre dans l’escalier qui conduisait au perron où sa voiture l’attendait.

— Ma mère !… avait-elle murmuré, en tombant épuisée sur sa chaise longue, ma mère !

Le bruit de la grille qui se fermait derrière la voiture du colonel la fit revenir à elle. Sabee était à ses genoux.

— Pauvre maîtresse ! lui disait la jolie enfant, ne pleure pas. Roumee va venir, tu vas le voir.

— Tu as raison, Sabee ; assez de faiblesse ! À l’œuvre maintenant ! Où est Roumee ?

— Il est dans le jardin et n’attend que mon signal pour monter.

— Appelle-le, ou plutôt va le chercher, car on pourrait t’entendre.

— Oh ! il n’y a personne à l’hôtel, maîtresse ; tout le monde est allé voir l’entrée du bal au Gouvernement. D’ailleurs les domestiques pourraient être là qu’ils ne me comprendraient pas.

En effet, penchée à la fenêtre, la jeune fille fit entendre ce roucoulement que nous connaissons déjà, et miss Ada ne put s’empêcher de sourire, car elle se rappelait que ce n’était pas la première fois que, dans le calme de la nuit, elle surprenait ce bruit amoureux.

— Mes habits ? demanda-t-elle à Sabee, qui avait rougi au sourire de sa maîtresse.

— Les voici ! répondit-elle en tirant à elle un assez volumineux paquet qu’elle avait caché derrière des rideaux.

Elle l’ouvrit.

C’était un costume complet d’aide de camp. Rien n’y manquait, ni l’épée à la poignée de nacre, ni les épaulettes d’or, ni les aiguillettes scintillantes.

La jeune fille disposait le tout sur le lit, lorsqu’on frappa à la porte.

Elle alla ouvrir : c’était Roumee.

Roumee était, comme Sabee, de la race mahratte, et il aimait assez la jeune femme de chambre de miss Ada pour donner sa vie à la maîtresse dès que la servante le lui ordonnerait.

Notre ciel froid ne connaît pas ces passions aveugles, ces dévouements enthousiastes, ces abnégations sublimes !

L’Hindou appartenait au deuxième régiment de cipayes et faisait partie