Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/325

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

lée des fidèles, au milieu desquels les cavaliers et les montures des prêtres se frayaient difficilement passage.

Puis cette vague humaine, houleuse, frémissante, se répandit sur la place qui précède le temple et qui, depuis plusieurs jours, ressemblait à s’y méprendre à un campement de Bohémiens.

C’étaient, d’un côté, de riches marchands venus à cheval et étalant avec orgueil les présents qu’ils apportaient à la pagode ; auprès d’eux, des pèlerins, les pieds nus et la tête rasée.

De l’autre, c’étaient des fakirs se mettant en état de grâce, pour paraître devant leur dieu, par des dévotions préliminaires, et des mendiants exposant aux regards des plaies hideuses.

Puis, des musiciens, des jongleurs, des charmeurs de serpents, les lourdes voitures des brahmines et les coquets palanquins des bayadères, véritables bijoux de bois de rose, autour desquels étaient étendus dans leurs pagnes de mousseline blanche les bâhis endormis.

Toutes les sectes, toutes les castes de l’Inde étaient représentées là, dans cette étendue de quelques centaines de mètres carrés, depuis le cipaye, ce soldat esclave de la Compagnie, jusqu’au fils de radjah ; depuis le paria jusqu’au brahmine.

En attendant l’ouverture du temple de Schiba, dont les sept enceintes étaient encore fermées à la foule et dont le soleil découpait les sculptures horribles et bizarres, les riches pèlerins faisaient des distributions de vivres et d’argent aux mendiants et aux yoyis, qui s’infligeaient publiquement les plus épouvantables tortures en l’honneur de la troisième personne de la trimourti indienne.

Les uns gardaient les bras étendus depuis si longtemps que les muscles extenseurs en étaient desséchés, et qu’il eût été peut-être plus difficile à ces pénitents volontaires d’abaisser leurs membres que de les laisser dans la position qu’ils avaient adoptée.

D’autres, dans un incroyable état de maigreur, se tenaient debout sur un pied comme ces gymnosophiste dont parle Strabon.

Un de ces malheureux parcourait la place en accompagnant chacun de ses pas d’un grognement inarticulé.

Il portait entre ses mains un morceau de bambou qui, lui traversant la langue, soutenait à son extrémité supérieure une statuette de Schiba.

Il était suivi d’un yoyi qui marchait droit et ferme, bien qu’il fût chaussé de sabots dont l’intérieur était garni de clous aiguisés.

Celui de tous ces fanatiques qui excitait le plus l’admiration de la foule était un Hindou décharné qui, depuis plusieurs mois, vivait enfoui jusqu’au milieu du corps dans un amas de terre végétale remplie d’œufs de fourmis.