Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/326

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On savait qu’il avait juré de n’en jamais sortir, c’est-à-dire d’y être dévoré vivant.

Tous ces misérables avaient l’air de souffrir à peine ; ils ne poussaient pas un gémissement.

On eût dit que l’exaltation religieuse avait produit chez eux une espèce d’anesthésie qui leur permettait de supporter impunément toutes les tortures.

C’était tout à la fois navrant, grotesque et hideux.

Que le lecteur ne croie pas que nous lui mettons là sous les yeux un tableau horrible peint tout exprès pour lui. Nous pourrions, au contraire, prolonger longtemps encore cette description, car l’Hindou fanatique est ingénieux à se martyriser et laisse bien loin derrière lui tous les bourreaux de l’Inquisition.

Pour n’en citer qu’un exemple, dont l’ombre du docteur Guillotin peut tressaillir d’aise, non-seulement la décapitation, à l’aide d’un instrument mécanique, était en usage aux Indes avant la Révolution française, mais encore les pénitents avaient trouvé le moyen de se couper le cou de leurs propres mains.

Nous avons vu nous-mêmes à Nadiya, un vieil instrument ad hoc que le propriétaire nommait un karavat.

C’était une espèce de demi-lune, armée d’un tranchant très-aigu, suspendu entre deux rainures par des chaînes qui répondaient à des étriers où la victime plaçait ses pieds.

Le pénitent pouvait ainsi lui-même, au moment où il se pensait en état de grâce pour paraître devant la divinité, donner une forte secousse et se séparer la tête du reste du corps.

Le brahmine qui me fit voir cet étrange instrument m’affirma qu’il y avait plus de trois cents ans qu’il était dans sa famille, et qu’un grand nombre de ses parents s’en étaient servis.

Mais retournons sur la place de la pagode de Tritchinapaly.

Pendant que les yoyis s’y livraient à leurs monstrueuses dévotions, un homme jeune, à la physionomie expressive et sévère et portant le splendide costume militaire des Sicks, se glissait au milieu des groupes.

Il allait de l’un à l’autre des pénitents et les examinait longuement, en laissant tomber son aumône dans leur sébile de cuivre ou dans leurs mains décharnées.

Il semblait chercher quelqu’un et attendre de l’un de ceux qu’il secourait, soit quelque signe de ralliement, soit quelques paroles convenues.

Déjà il avait parcouru presque toute la place et son visage avait à plusieurs reprises laissé échapper des signes d’impatience, lorsque subitement, il se dirigea vers le porche de la pagode.