Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/398

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laquelle il s’était nonchalamment accoudé, pour aller au-devant de deux individus qui venaient d’entrer dans la taverne.

Peu familiarisés sans doute avec l’atmosphère épaisse et enfumée du lieu, ces nouveaux venus s’efforçaient vainement d’en sonder le brouillards opaque. Ils s’avançaient comme à tâtons.

Ces deux hommes étaient habillés en ouvriers, mais il n’était pas nécessaire de les examiner longtemps pour se convaincre que leur costume n’était qu’un déguisement.

Le plus jeune surtout, quelque soin qu’il eût pris pour se travestir, avait, sous sa vareuse de laine, une distinction qu’il s’efforçait vainement de dissimuler.

Dans ses gros souliers ferrés, beaucoup trop grands, on devinait des pieds habitués à être finement chaussés.

Ils étaient tous deux très-bruns, bien évidemment compatriotes et de race étrangère.

— Ah ! voici notre homme, maître, dit le plus grand à son compagnon en reconnaissant enfin Welly, qui s’était approché et lui avait tendu familièrement la main.

Puis ils avaient suivi le digne comptable de M. Berney pour s’asseoir à la table qu’il occupait avec ses amis.

Cromfort fit un signe, et Mab, contre la remise de six pence, servit à chacun des inconnus un verre de whisky brûlant, auquel ils ne paraissaient pas pressés de goûter.

Celui que son interlocuteur chez Bob avait appelé maître parcourait la salle des yeux, et en même temps que sa physionomie exprimait une satisfaction étrange, ses lèvres se crispaient dans un sourire de mépris.

C’était certainement la première fois qu’il entrait dans ce bouge ; c’était aussi la première fois que ces hommes avec lesquels il était attablé le voyaient, car ils l’examinaient curieusement, sans qu’il eût l’air, du reste, de fuir leurs regards.

— Eh bien ! as-tu fait notre affaire avec Bob ? demanda enfin à Welly le plus grand des deux nouveaux venus, que l’ouvrier et ses amis appelaient le Mulâtre, dans l’ignorance où ils étaient de son nom.

— C’est fait ; quand vous voudrez, nous irons visiter l’endroit, répondit Welly.

— Allons-y de suite, dit le mulâtre en consultant des yeux son compagnon, qui fit signe qu’il était de cet avis.

La salle était tellement enfumée que l’on pouvait, sans éveiller l’attention d’aucun de ceux qui s’y trouvaient, aller et venir, entrer et sortir à son gré.

Du reste, le nombre des consommateurs diminuait.