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Quinze jours ne s’étaient pas écoulés que lady Maury, seule dans son splendide hôtel, durant des journées entières, regrettait déjà la maison paternelle.

Les seuls moments de bonheur qu’elle eût étaient ceux qu’elle passait auprès de sa mère, pendant que son mari était à son club ou chez ses maîtresses.

Là, elle écoutait patiemment le père Katers, qui, pour la consoler, s’efforçait de lui prouver qu’il en était ainsi dans tous les ménages des gens du monde.

Cette triste ressource devait même lui manquer subitement.

Comme si le ciel eût voulu la livrer sans défense à sir Arthur, moins de six mois après le mariage de leur fille, M. et madame Katers moururent à quelques jours d’intervalle, en laissant encore une fortune énorme, qui était déjà presque devenue nécessaire, grâce aux prodigalités du baronnet.

La vie de la pauvre femme ne fut plus alors qu’une suite incessante d’humiliations et de tortures, une de ces tristes odyssées des mésalliances.

Sir Arthur lui avait ordonné de fermer sa porte aux amies d’enfance qu’elle avait reçues tant que son père avait vécu, et, comme il s’était bien gardé de la présenter dans son monde, où sa bonté et sa douceur l’auraient peut-être fait adopter, la malheureuse lady vivait complètement isolée dans cette immense demeure, dont le luxe était pour ainsi dire une insulte constante à sa douleur et à son abandon.

Son mari s’absentait parfois des semaines entières.

Lorsqu’il rentrait chez lui, c’était ou brisé de sa vie de débauche ou pour imposer à sa femme, pendant les repas, la société de ses compagnons habituels, à la tête desquels figurait toujours son inséparable Albert.

Lady Maury, comme si elle eût eu le pressentiment du rôle infâme que cet homme devait jouer auprès d’elle, avait pour lui une aversion qu’elle ne pouvait cacher, tandis qu’Albert, au contraire, soit lassitude des amours faciles, soit par une sympathie réelle dont il ne se rendait pas compte, soit enfin seulement par le fait d’une fatalité étrange, se sentait attiré vers elle.

Malgré son égoïsme, ce viveur, plus fou encore que misérable, n’avait pu s’empêcher de prendre en pitié la pauvre délaissée.

La pensant sans défense contre la séduction, il s’était mis à lui faire une cour assidue, d’abord ouvertement, puis d’une façon plus discrète, au fur et à mesure qu’il avait senti sa passion devenir plus sérieuse et plus vraie.

Mais lady Maury était inattaquable.

Albert Moore en fut pour ses frais, et son amour grandit alors en raison de la résistance qu’il éprouvait à triompher.

Sir Arthur s’était aperçu le premier des tentatives de son ami. Dans