Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/490

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

La moitié de l’usine avait été la proie des flammes. Les torrents d’eau que lançaient les pompes faisaient jaillir, des débris incendiés, des nuages de fumée qui voilaient le ciel.

À l’arrivée de M. Berney, ce fut de la part des révoltés des cris de colère et de mort et une tentative désespérée pour échapper à leurs gardiens.

Sur leur refus de se rendre, un feu de peloton se fit entendre et vingt hommes tombèrent.

Ce devait être la fin de la lutte.

Une demi-heure plus tard, le manufacturier voyait passer devant lui, le visage crispé, les regards chargés de haine, enchaînés deux à deux, ces ouvriers pour lesquels il avait été impitoyable et dont un moment le colère venait de lui enlever plusieurs millions.

Malgré son flegme et son énergie, des larmes brûlantes roulaient dans ses yeux.

Le jeune constable, qui était venu si à propos au secours de M. Berney, se tenait auprès de lui, toujours escorté de son gros compagnon, et il semblait examiner avec le plus grand soin le visage de chacun des prisonniers.

On eût dit qu’il cherchait à reconnaître quelqu’un.

— Les misérables ! lui dit M. Berney, ils viennent de détruire en un instant un établissement que j’avais mis vingt années à organiser. Et on nous demande de la pitié pour ces hommes ! Je voudrais que tous vos philanthropes et vos utopistes aient assisté à cette scène de folie et de pillage. Ah ! je connais les meneurs, et j’espère bien qu’ils payeront leur crime.

— Non, vous ne les connaissez pas tous, répondit le jeune homme.

— Que voulez-vous dire ?

— Qu’il y a, cachés derrière tous ces malheureux, des chefs ignorés ; mais que moi je découvrirai, je vous le promet. J’ai le pressentiment qu’un de ces beaux soirs, je me trouverai en présence de gens de ma connaissance.

Le jeune homme ne se doutait guère qu’au moment où il s’exprimait ainsi, il était comme son gros compagnon, l’objet de l’examen attentif de deux matelots, qui, mêlés aux innombrables curieux que le bruit de la lutte avait attirés, ne le quittaient pas du regard.

— C’est bien lui, disait l’un des marins, mon correspondant était exactement renseigné. Vous voyez ces deux hommes, docteur. Après le colonel Maury, ce sont mes deux plus dangereux ennemis. Eux seuls peuvent me reconnaître ; c’est vous dire qu’ils doivent disparaître à tout prix. Ah ! capitaine Wesley, ah ! master Stilson, vous avez fait trois mille lieues pour me poursuivre. Patience, votre tour viendra !