Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/51

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ainsi que ses compagnons, vers la statue de Kâly et en dirigeant vers elle ses mains suppliantes.

« Et tout la foule redit en s’agenouillant :

« — Gloire à Bhowanie, mère de l’univers, protectrice et patronne de notre ordre ! En ce jour solennel, envoie-nous ton secours, éclaire-nous de ta divine lumière, accorde-nous un augure favorable qui nous manifeste ta volonté, qui approuve l’initiation de celui que tu sembles avoir choisi !

« Puis tous restèrent silencieux, haletants, les genoux dans la poussière et les yeux fixés sur l’idole que je ne quittais pas moi-même du regard.

« Je n’entendais plus que les battements de mon cœur et la respiration oppressée de cette multitude qui attendait.

« Soudain un cri épouvantable me fit tressaillir, les gongs résonnèrent et les yeux de Kâly lancèrent un jet de sang chaud qui jaillit jusqu’aux fidèles courbés à ses pieds.

« — Honneur ! honneur à Kâly ! s’écrièrent-ils tous.

« Le vieux jemadar vint me prendre par la main pour me conduire auprès de la déesse.

« — Répétez, me dit-il, le serment que vous avez déjà fait.

« Je le redis à haute voix.

« — Jurez de sacrifier à Kâly, soit par le mouchoir, soit par le feu, soir par le poison, tout être qui vous sera désigné.

« — Je le jure !

« — Frappez, alors ! me commanda-t-il en armant ma main d’un long poignard malais, dont la lame bleue semblait jeter des flammes.

« Et, me faisant tourner rapidement sur moi-même, il me mit en face d’un être enveloppé de longs voiles de mousseline et que deux prêtres soutenaient dans leurs bras.

« J’étais fou. Le sang qui coulait dans mes veines était de feu. Aussi, plus rapide que la pensée, je me précipitai, et mon arme disparut dans le sein de la victime.

« Elle tomba en poussant un cri étouffé, mais un cri qui était celui d’une voix que j’avais déjà entendue, un cri qui fit dresser d’horreur mes cheveux sur ma tête.

« Je me jetai comme un lion sur le corps, dont je venais d’arracher la vie ; j’en soulevai brusquement les voiles et me redressai épouvanté.

« Goolab-Sohbee, gisait à mes pieds ! Goolab-Sohbee, la compagne de mes jeux, l’amie de mon enfance, la seule femme que j’aie aimée !… »

À cet horrible aveu de Feringhea, la salle entière se souleva en malédictions, mais d’un geste l’assassin apaisa la foule, qui comprit qu’elle n’avait pas encore tout entendu.

— À partir de ce moment, poursuivit-il, je ne songeai plus qu’à tenir le