Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/54

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— Souvenez-vous du supplice qu’il m’avait infligé en m’obligeant à tuer Goolab-Sohbee.

Et le silence se fit comme par enchantement.

— Et Roop-Singh ? demanda lord Bentick.

— Il s’est retiré et vit heureux, riche et honoré, entouré de ses femmes et de ses enfants.

— Où cela ?

— Ici même, tout près, aux Gardens, dans cette belle maison musulmane devant laquelle vous passez chaque jour, mylord, en retournant à votre villa. Vos enfants ont sans doute été souvent chercher l’ombre et la fraîcheur sous les grands arbres de son avenue.

— Un Thug peut donc quitter l’association ?

— Oui, lorsqu’il est trop vieux, ou lorsque sa santé l’oblige au repos.

— Pensez-vous qu’il y ait eu quelques rapports entre les Thugs et les révoltés de la dernière guerre ?

— N’en doutez pas. Presque tous les officiers indigènes du régiment des cipayes de Cawpore étaient des nôtres. Il n’est pas une ville, un village même de l’Inde où le Thugisme n’ait ses sectateurs.

— Êtes-vous toujours décidé à nommer ceux que vous savez affiliés aux Thugs ou les protégeant, qu’ils soient magistrats ou grands propriétaires, à quelque rang de la société qu’ils appartiennent ? Le capitaine Reynolds sera chargé de recevoir vos dépositions.

— Je les nommerai tous, et vous frémirez bien autrement qu’aux détails que je vous ai donnés, lorsque vous saurez quels sont nos amis parmi vous-mêmes.

Après ces quelques mots, qui laissaient un vaste et terrible champ aux suppositions et aux terreurs, l’audience fut levée au milieu d’une émotion que nous n’essayerons pas de peindre.

Lord William Bentick jugea prudent de doubler la garde qui reconduisait Feringhea au fort Saint-Georges.

Il y avait à craindre, non-seulement la colère du peuple contre le meurtrier, mais aussi la vengeance des Thugs eux-mêmes, qui pouvaient déjà avoir appris qu’ils étaient trahis.

Une foule immense occupait la place du Gouvernement, la troupe put difficilement s’y frayer un passage, et, jusque sur la plage, Feringhea fut escorté par les malédictions de la population anglaise.

Les indigènes se pressaient aussi pour le voir, mais ils le considéraient comme un être surnaturel, à la vie duquel ils n’auraient peut-être même pas osé attenter s’il avait été mis en liberté au milieu d’eux.

Quant à Feringhea, il marchait à pas lents, la tête haute, sans se soucier des clameurs ni du bruit. On ne put pas surprendre sur son visage