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une seule trace d’émotion pendant tout le parcours du palais à la prison.

Lorsqu’il fut sorti de la salle d’audience, on comprend que l’émotion, silencieuse depuis près de cinq heures, s’était faite bruyante.

Des groupes s’étaient formés pour commenter le récit du terrible chef. Les uns voulaient y voir de l’exagération ; les autres pensaient, au contraire, qu’il n’avait dit qu’une partie de la vérité, que les mystères du Thugisme étaient plus épouvantables encore qu’il ne les avait dévoilés !

On accusait le gouvernement de la Compagnie, et les dernières paroles du dénonciateur vibraient comme un glas funèbre. On aurait voulu être au lendemain pour savoir quelles dispositions allaient être prises par l’autorité.

Le soir, sur le cours et dans les salons, ce fut pire encore.

On proposa de créer des expéditions particulières pour venir en aide aux troupes de l’armée de Madras, et on organisa des battues contre les Thugs, comme s’il se fût agi de chasser le lion ou le tigre.

Madras, si calme, si paisible, n’était plus reconnaissable. La fièvre et l’épouvante s’en étaient emparées ; l’interrogatoire de Feringhea venait de tracer une ligne infranchissable entre la ville blanche et la ville noire, que la population anglaise ne voulait plus voir peuplée que d’Étrangleurs.

Dans la soirée, sous les fraîches vérandahs, les blanches ladies osaient à peine échanger leurs pensées et le moindre bruit les faisait tressaillir.

Dans le domestique qui entrait pour servir, elles croyaient reconnaître un agent de la bande d’Hyder-Aly. Le cri d’un hibou ou d’un aigle les faisait penser au signal de mort dont avait parlé Feringhea.

Et cependant tout ce qui venait d’être dit, tout ce qu’on venait d’apprendre, n’était que le faible prologue du drame dont de prochains débats allaient lever les voiles sanglants et faire connaître les terribles mystères.


VII

ARRESTATION DES THUGS. — ORGANISATION DES TRIBUNAUX D’INQUISITION.



On comprend sans peine la fièvre qui s’empara de la population de Madras et de toute la province, pendant les jours qui suivirent ces révélations de Feringhea. On hésitait à croire.

Mais le chef avait énergiquement persisté dans ses déclarations, et chacun avait pu voir partir, dans diverses directions, des troupes de soldats anglais.