Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/556

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Le brahmine et Yago se tenaient discrètement à l’écart sur le seuil de la maison.

Après le premier moment d’expansion passé, Nadir avait pris place auprès de Sita sur un lit de fougères parfumées qui tapissaient un des angles de la cabane.

La tête appuyée sur la poitrine de celui qui l’avait abandonnée, mais dont le retour lui faisait tout oublier, la jeune femme était plongée dans une joie ineffable. Des douleurs passées elle ne se souvenait plus ; les deux années d’absence de son bien-aimé lui semblaient n’avoir été qu’un rêve.

Elle était là, près de lui, pressée sur son cœur comme aux beaux jours d’autrefois, comme au temps heureux où le brahmine son père initiait son fiancé aux mystères de l’histoire de l’Inde.

Aussi, de peur de rêver encore et d’être réveillée, Sita ne prononçait-elle pas un mot. Son bonheur était muet et profond comme les grandes solitudes.

Nadir la contemplait avec tendresse. Sa main caressait la chevelure d’ébène de l’adorable créature, et on eût dit, à l’expression de son visage que, lui aussi, il s’efforçait de ne se rappeler que du passé.

Ce fut l’Hindou qui, le premier, rompit le silence.

— Oui, Sita, dit-il à la jeune femme, me voici de retour après de terribles épreuves ; et mon premier souci, en remettant le pied sur cette terre où mes aïeux ont régné en maîtres a été de te revoir. J’ignore ce que Brahma nous réserve à tous deux, car je suis traqué comme une bête fauve et peut-être me faudra-t-il bientôt m’exiler de nouveau.

— Partir ! encore partir ! gémit Sita.

— Il y a deux hommes, poursuivit Nadir, qui peuvent m’y contraindre ; Sir George Wesley, l’ancien ami du colonel Maury, et Stilson, l’ex-guichetier de la prison de Golconde. Ces deux hommes m’ont suivi en Angleterre, et, furieux de n’avoir pu m’atteindre là-bas, ils sont revenus ici. Eux seuls ont intérêt à se venger de moi, car sir Arthur Maury n’est plus.

— Et miss Ada ? murmura l’Hindoue avec un éclair de jalousie dans le regard.

— Vischnou a épargné miss Ada que j’aime, répondit Nadir avec une certaine fermeté, mais l’avenir n’appartient qu’à Brahma ; les plus puissants doivent se soumettre ainsi que les plus faibles.

Sita laissa retomber sa tête en poussant un soupir.

Au même instant Yago jeta un cri et s’élança en travers de la porte de la cabane.

Sir George et Stilson venaient de franchir la palissade et l’officier, tenant en respect le serviteur qu’il menaçait de son revolver, s’écriait en s’adressant à Nadir :