Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/61

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« Sous les grandes feuilles du talipot se jouent l’écureuil et le singe, pendant que, dans les touffes de roseaux et de bambous, le léopard, l’hyène et l’ours guettent au passage le cerf et le daim. Sous les feuilles sèches, paraissant à l’œil inexpérimenté une branche morte, se glisse la vipère noire, que fuient même la copra et les autres reptiles. Le crocodile s’étend paresseusement sur la vase des rives.

« C’est dans ce paradis empoisonné que nous allions engager la lutte, car, dès notre arrivée à Rasi, il ne nous fut plus permis d’en douter : nous étions au milieu des Thugs. La bande d’Hyder-Aly était presque tout entière autour de nous.

« Le lendemain soir, en effet, deux émissaires du lieutenant Marsy me parvinrent. Ces hommes avaient quitté la veille, à Chittore, le petit corps que j’y avais envoyé, et ils s’étaient bravement engagés dans les défilés pour venir prendre mes ordres.

« En faisant route, ils avaient arrêté dans la montagne un Hindou, à mine suspecte, qui se dirigeait vers Rasi avec un enfant d’une dizaine d’années. Ils m’amenaient cette étrange capture.

« L’Hindou était une espèce de fakir hâve, décharné. À mes questions, il répondit qu’il se nommait Mouranee et qu’il était barbier à Chittore. Pour me le prouver, il tira de sa poche les instruments de son métier.

« À l’égard de l’enfant, qui était maigre, chétif, presque idiot et semblait rempli de crainte pour son conducteur, je n’en pus rien tirer. Le tribunal l’interrogera lui-même.

« Seulement, et c’est ce qui m’intéressait le plus, lorsque Mouranee m’entendis donner l’ordre de l’enfermer et de le garder dans une citerne vide de la maison que j’occupais, le misérable se jeta à mes pieds, me suppliant par Brahma de lui faire grâce, et me jurant qu’il allait me dire tout ce qu’il savait des Étrangleurs.

« Cinq minutes après, j’apprenais que cet homme faisait lui-même partie de la bande d’Hyder-Ali, et que cette bande, forte de près de trois cents individus, avait le soir même une réunion mystérieuse dans la forêt.

« Tous les Thugs des environs avaient été convoqués à cette assemblée, afin de prendre des mesures pour échapper à notre poursuite.

« Je promis à l’Hindou la vie sauve et la liberté s’il ne mentait pas, s’il voulait me servir de guide et me conduire à l’endroit même de la réunion ; mais, dans le cas contraire, un de mes hommes, qui n’allait pas le quitter d’une seconde, avait l’ordre de lui brûler la cervelle à la première tentative de trahison ou de fuite.

« Il s’agissait d’abord de ne pas donner l’éveil aux Étrangleurs, qui ne pouvaient ignorer mon arrivée dans le pays, quoique je n’eusse pris loge-