Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/62

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ment dans le village qu’avec une dizaine d’hommes et que j’eusse fait camper à un mille de là le reste de ma troupe.

« Je résolus, avant d’entreprendre rien de décisif, de me rendre compte par moi-même du nombre de Thugs.

« Après un conseil tenu avec sir Buttler et mes officiers, nous affectâmes, vers neuf heures, de nous retirer chez nous, et une demi-heure plus tard, conduits par l’Hindou, dont les mains étaient liées et tenues par son gardien, nous prîmes la route de la forêt, à travers les jardins qui s’étendent derrière Rasi.

« La nuit était noire, sans lune ; nous glissions dans les ténèbres épaisses sans le moindre bruit. Nous avions retiré nos éperons, qui auraient pu s’embarrasser dans les lianes, et les poignées et les fourreaux de nos sabres étaient enveloppés d’étoffe, afin de ne rendre aucun son s’ils se choquaient les uns contre les autres ou frappaient les arbres et les pierres.

« Après vingt minutes de marche à peine, nous arrivâmes en pleins fourrés. Là nous dûmes redoubler encore de prudence, car le moindre bruit aurait pu nous trahir.

« L’Hindou, qui avait hésité un instant, mais qui avait été rapidement rappelé à sa promesse par le contact glacé du revolver de son surveillant, donnait du reste l’exemple, choisissant, autant que cela pouvait se faire dans l’obscurité qui nous enveloppait, l’endroit où devait se placer son pied, évitant les passages glissants et les feuilles sèches.

« Soudain notre guide s’arrêta brusquement et se pencha sur le sol pour prêter l’oreille.

« Nous retînmes notre respiration pour mieux écouter un bruit confus, indéfinissable, qui se produisait sur notre droite. Il était évidemment occasionné par une foule nombreuse.

« Nous étions arrivés.

« L’Hindou ne nous avait pas trompés, du moins au sujet de cette assemblée de meurtriers : nous étions au milieu des Étrangleurs.

« Il ne s’agissait plus que de trouver une place d’où nous pourrions voir sans être vus.

« Nous n’eussions pu choisir, tout autour de la clairière, aucun lieu aussi favorable que cet endroit où nous avait menés l’Hindou.

« Dès que nous eûmes gravi un petit monticule et pris place entre les branches des buissons, l’assemblée tout entière fut sous nos yeux, mais elle ne pouvait nous voir.

« C’est à peine, quoique nous ne fussions qu’à quelques pas les uns des autres, si nous pouvions nous reconnaître nous-mêmes, tant les ténèbres étaient épaisses.