Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/69

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traînantes de la clairière ; un rideau de flammes se déroulait avec la rapidité de l’éclair et allait être pour nous un obstacle infranchissable en même temps qu’un linceul brûlant.

« Le feu avait été mis successivement à quatre ou cinq places différentes, et dans les intervalles que laissaient entre eux ces divers foyers dont la fumée était épaisse, noire, empestée, je voyais mes hommes attaquer bravement ces monstres à face de mandrille, qui bondissaient, rampaient, grimaçaient, hurlaient, se défendaient des dents et des ongles, en s’efforçant d’entraîner leurs assaillants dans les flammes pour mourir avec eux.

« De temps à autre, un rugissement épouvantable dominait le bruit du combat, le crépitement de l’incendie, les râles des mourants : c’était un tigre ou une panthère qui, affolés, se jetaient au milieu de la mêlée, comme pour venir en aide aux sectateurs de Kâly.

« Le combat continuait acharné, sans pitié ; je crus que tout était perdu.

« C’était une lutte de démons au sein de l’enfer embrasé !

« J’hésitais à prendre un parti et j’allais abandonner sir Edward pour cerner la clairière, afin de protéger la retraite de mes soldats et d’arrêter les Étrangleurs, car j’étais tellement aveuglé par la fumée que je ne savais pas au juste ce qui se passait, lorsqu’un long cri de triomphe, poussé sur notre droite, au-delà de l’incendie, m’avertit que la plus grande partie de mes auxiliaires avait échappé au danger, et qu’ils continuaient leur route vers le fleuve.

« Ceux qui m’entouraient et moi, nous nous jetâmes alors rapidement sous les grands arbres, dont les flammes attaquaient déjà les branches supérieures, et, en quelques minutes, nous arrivâmes sur la rive du Palaur, que la lune éclairait en plein.

« Près de cent de mes hommes m’y avaient précédé, contenant au milieu d’eux les prisonniers faits dans le combat, et sir Edward, aidé de ceux qui l’avaient suivi, s’efforçait de mettre à flot et de dégager des palétuviers une longue embarcation, dont l’équipage massacré râlait dans les roseaux du rivage.

« Au milieu du fleuve, chassés vigoureusement par des pagayes, dont les coups redoublés venaient jusqu’à nous, glissaient rapidement plusieurs pirogues.

« À l’arrière de l’une d’elles se dessinait une masse blanche qui semblait inanimée.

« C’était lady Buttler, que les misérables assassins emportaient encore une fois.

« L’incendie rougissait le ciel comme une aurore boréale ; les sommets des géants des forêts semblaient porter des panaches de feu.