Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/7

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Le chef des Étrangleurs sourit tristement en faisant résonner ses fers, puis il reprit aussitôt :

— Si je me suis livré à vos soldats, c’est que j’ai un but : je veux faire tomber dans vos mains tous les Thugs auxquels je commande, de l’Himalaya au cap Cormorin.

Lord William ne put retenir un mouvement de surprise à cette étrange déclaration.

— Oui, tous les Thugs, poursuivit l’Hindou, c’est-à-dire plusieurs milliers de ces invisibles ennemis que vous soldats poursuivent en vain.

— À quelles conditions feriez-vous cela ?

— Si je vous demandais la vie, la liberté même…

— Je ne sais si je pourrais vous accorder la liberté, interrompit le gouverneur, mais je puis certainement vous promettre la vie sauve.

— Vous m’avez mal compris, mylord, parce que vous ne m’avez pas laissé achever. Je voulais vous dire : Si je vous demandais la vie et la liberté, vous n’hésiteriez pas à conclure ce marché ; vous avez un trop grand intérêt au triple point de vue politique, religieux et de sécurité publique à vous défaire des Étrangleurs pour ne pas tout accorder à l’homme qui vous rendra un tel service. Eh bien ! moi, Feringhea, qui commande plus que vous dans l’Hindoustan, je serai cet homme-là, et cela, sans condition.

— Sans condition ! exclama le gouverneur.

— Sauf une seule : lorsque ma dernière heure sera venue, vous autoriserez le brahmine que je désignerai à passer quelques heures dans mon cachot, seul avec moi ; et cet homme, s’il est par hasard dénoncé, ne sera pas inquiété un seul instant ; vous le prendrez sous votre protection. Donnez-m’en votre parole.

— Je vous le jure !

— Je ne vous en demande pas davantage, parce que l’acte que je vais commettre en vous livrant ceux dont je suis le maître ne serait pas seulement une trahison, mais encore une lâcheté.

— Je vous promet également la vie.

Feringhea ne parut attacher aucune importance à ces mots et reprit :

— Maintenant que j’ai votre parole, mylord, envoyez-moi un de vos secrétaires ou l’un de vos magistrats ; j’en ai pour de longues heures à dicter les renseignements qui vous sont nécessaires !

Stupéfait de ce calme, le gouverneur de Madras fixait l’Hindou avec une certaine admiration, et voulant lui donner immédiatement un témoignage de confiance, il appela un geôlier auquel il commanda d’enlever les fers du prisonnier.

— Je vous remercie, dit Feringhea en se levant pour saluer lord