Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/92

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Mais au lieu de répondre à celui qui l’interrogeait, le monstre se leva, et se tournant vers le tout-puissant jemadar, il s’écria :

— Et pourquoi, Feringhea, ne réponds-tu pas toi-même ? Tout aussi bien que nous, tu sais que le sang des enfants ou des vierges est nécessaire aux libations qui précèdent les sacrifices, et qu’il faut que ce sang soit chaud pour que, selon les rites sacrés, nous puissions tracer sur nos fronts et sur nos poignets les lignes qui distinguent les adorateurs de Kâly.

— Cela est vrai, Feringhea ? demanda le Président.

— Cela est vrai, mylord, répondit le chef.

Après cet épouvantable aveu, qui avait soulevé mille imprécations, sir Georges Monby, le président, leva la séance et les accusés furent reconduits au fort Saint-Georges.

Le tribunal devait entendre, dans l’audience suivante, la déposition du colonel Buttler et celle des témoins du guet-apens dont le malheureux officier et les siens avaient été victimes.


X

L’ATTENTAT DE SIR EDWARD.



Le lendemain, l’audience s’ouvrit devant un auditoire plus nombreux encore que les jours précédents, si toutefois la chose était possible, et sir Georges Monby, une fois les accusés à leurs bancs et le silence obtenu, pria sir Edward Buttler de faire sa déposition.

Après avoir respectueusement salué la cour, et s’être armé du courage qui lui était nécessaire, sir Edward commença en ces termes :

— Sir, pardonnez à mon émotion, mais je suis encore sous le coup de l’affreux malheur qui a anéanti ma famille ; je vais m’efforcer cependant de rappeler tous les souvenirs et d’imposer silence à ma douleur.

« Envoyé l’an dernier à Ceylan par le gouvernement et devant rester plusieurs mois dans l’île, pour y remplir la mission importante qui m’était confiée, j’avais emmené avec moi lady Buttler, mon fils et mon neveu. Mon fils avait sept ans et mon neveu six à peine.

« Il y a quelques semaines, mes travaux étant terminés et l’ordre m’en ayant été donné, je me mis en route pour rentrer à Madras, aussi rapidement que possible, et comme le bâtiment qui fait le service entre Trinquemale et le chef-lieu de la province devait tarder assez longtemps encore, je résolus de faire la route par terre après avoir franchi le détroit.