Page:René de Pont-Jest - Le Serment d’Éva.djvu/240

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les déceptions d’artistes, les rivalités de coulisses, les basses jalousies. Dans ce monde-là, voyez-vous, il n’est permis d’avoir de succès que si on ne nuit pas au succès d’autrui. Un mari n’autorise pas sa femme à lui voler un applaudissement, pas plus qu’un amant ne le supporterait de sa maîtresse la plus adorée. Tout pour le public et pour la vanité ! Si vous vous imposez par votre talent, on s’incline devant vous, mais hypocritement, pour vous déchirer en arrière. Si vous êtes au contraire au second plan, on vous barre le chemin pour que vous ne puissiez atteindre le premier. Pour vous enlever un rôle ou pour vous empêcher de l’obtenir, il n’est pas de bassesse, de lâcheté, de calomnies dont vous ne serez l’objet. Plus vous paraîtrez bien élevée, plus on affectera de familiarité à votre endroit, plus on vous rendra la promiscuité répugnante. Il n’y a que le jour où il se trouve en face d’une infortune que le comédien se transforme tout à coup pour montrer les plus précieuses qualités de cœur, comme s’il voulait saisir l’occasion de dépenser toutes ses économies de sensibilité, et faire excuser les défauts inhérents à son métier et dont il souffre peut-être tout le premier ! Voilà, mon enfant, le monde dans lequel vous voulez entrer.

— Quel monde ? demanda aussitôt une voix qui fit tressaillir Mlle  de Tiessant.

Ayant appris de Pierre, en rentrant à son atelier, que M. Bernel avait été emmené chez elle par la mère de Blanche, Gilbert était venu les rejoindre, et