Page:René de Pont-Jest - Le Serment d’Éva.djvu/343

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en lui demandant comment elle avait passé la journée, son projet homicide lui faisait horreur ; et si, le soir même, néanmoins, à la vue de la tasse où il lui était si facile de verser la mort, la tentation la reprenait, elle détournait les yeux, cachait sous son oreiller le flacon de morphine, et murmurait : « Non, non, pas aujourd’hui encore, mais demain ! Oh ! oui, demain ! »

Et le lendemain, la même lutte qui l’épuisait se terminait par la même victoire de ses sentiments religieux sur ses terreurs de maîtresse jalouse ; elle repoussait même la pensée criminelle du suicide, mais pour supplier le ciel, en d’ardentes prières, de ne pas ainsi prolonger son martyre ; et son exaltation, dans cet ordre d’idées, prenait parfois toutes les formes de la folie.

Une après-midi qu’un orage d’une extrême violence venait d’éclater sur Nogent et que le tonnerre déchirait incessamment les nuages, les domestiques, réfugiés dans la cuisine, entendirent tout à coup un cri d’enfant, et virent en même temps s’affaisser comme une masse, au pied des hauts peupliers qui bordaient la grille, Mlle  de Tiessant avec sa fille pressée contre sa poitrine.

Profitant d’une seconde où Mme  Bertin l’avait laissée seule, Éva s’était échappée de sa chambre, en entraînant Blanche jusque sous les grands arbres qui pouvaient attirer la foudre et, là, elle était tombée à genoux, en disant :

— Mon Dieu ! tuez-nous toutes les deux pour