Page:René de Pont-Jest - Le Serment d’Éva.djvu/73

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et mordante. On eût dit que déjà elle connaissait toutes les déceptions et qu’à dix-huit ans, elle avait déjà vieilli dans la douleur.

Cette transformation, que tout faisait pressentir au lendemain même du mariage de la jeune femme, s’était accentuée rapidement pendant sa grossesse ; sa gaîté, sa bienveillance, sa douceur, son inaltérable patience, tout cela s’en était allé peu à peu, et lorsqu’elle fut devenue mère, elle s’étonna de ne pas éprouver pour ce petit être sorti de ses flancs la tendresse immense qu’elle s’attendait à ressentir.

Certes, elle aimait son fils ; elle eût donné sa vie, sans hésiter, pour sauver la sienne ; elle ne comptait pas les nuits passées à veiller sur son berceau, mais il lui semblait que c’était une tout autre affection qu’elle devrait avoir pour lui, et, ne pouvant se rendre compte de cette forme d’un sentiment qui tenait surtout du devoir, elle s’en prenait à son mari et l’accusait de l’avoir faite mère avant que son cœur, sans doute, fût prêt à l’amour maternel.

Peut-être pensait-elle aussi, en embrassant son fils, qu’elle l’aimerait davantage, autrement, plus complètement enfin, s’il n’était pas le fruit d’un marché dont le souvenir, toujours présent à son esprit, augmentait de jour en jour l’irrésistible répulsion que lui inspirait celui auquel elle appartenait de par la loi ; et elle confondait, non pas dans sa haine, elle ignorait encore cette horrible torture de l’âme, mais dans sa pitié méprisante, son mari qui l’avait achetée et son père qui l’avait vendue. Elle rougissait, se