Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/105

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Mme  de Serville a dit que c’était une petite abandonnée que Méral avait recueillie, et aujourd’hui que sa bienfaitrice est morte, cette jeune fille aurait intérêt à connaître le mystère de sa naissance pour rechercher sa famille.

La physionomie de Françoise, qui d’abord avait exprimé de la stupéfaction, était redevenue calme et sérieuse ; mais, les yeux fixés sur celle qui l’interrogeait, elle gardait le silence.

— Vous ne voulez pas me répondre ? fit Jeanne.

— Eh ! je ne demande pas mieux, riposta la fille Méral sèchement, d’autant plus que la chose doit vous intéresser ; car, si je ne me trompe pas, la petite Rose, élevée par Mme  de Serville, c’est tout simplement vous.

— Oui, c’est moi, dit naturellement Mlle  Reboul, qui s’attendait et s’était préparée à ce choc à peu près inévitable ; c’est moi-même, ma bonne Françoise : je vous avais reconnue de suite.

— Ah ! vous m’aviez reconnue ?

— Oui, certes ; je n’ai pas oublié vos bons soins d’autrefois. Alors, vous ne savez rien de ma famille ?

— Voyons, est-ce que c’est sérieusement. Rose, que tu me demandes tout ça ? Me prends-tu pour une bête ?

Jeanne fit un bond de surprise ; Françoise la fixait d’un regard moqueur.

— Mais, je ne vous comprends pas, bégaya-t-elle.

— Comment, tu ne comprends pas, reprit l’ouvrière, en haussant les épaules. Tu ne me feras pas croire que tu ignores que tu es ma sœur, ma propre sœur, c’est-à-dire, comme moi, la fille de Méral, de Méral le guillotiné.

Celle que Mme  de Serville avait recueillie jadis jeta un cri d’horreur.

— Et la sœur de Pierre le forçat, poursuivit impitoyablement Françoise. Ah ! je sais bien que, pour toi, qui te pensais peut-être l’enfant de quelque marquis, c’est une fichue dégringolade ; mais, c’est comme ça ! Tu t’appelles tout simplement : Rose-Jeanne Méral. Ne crois pas, tout au moins, que c’est pour te faire de la peine que je t’apprends tout ça ; mais, vois-tu, il y a trop longtemps que je souffre seule. Je n’aurais pas été te chercher, je l’avais promis à Mme  de Serville, mais, puisque tu es venue, tant pis !

Le coup était rude, en effet, pour l’orgueil de la maîtresse d’Armand.

Appuyée sur un meuble, les poings crispés, la bouche frémissante, le blasphème sur les lèvres, elle pensait bien moins à la honte que lui apportait cette horrible révélation qu’à la barrière infranchissable qui existait entre elle et son amant.

Effrayée de l’effet produit par ses paroles, Françoise semblait les regretter, car c’était une fille plutôt vicieuse que méchante ; mais Jeanne, dont l’âme de bronze ignorait la faiblesse, ne pouvait se courber longtemps sous quelque malheur que ce fût.