Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/106

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

Presque instantanément, elle se redressa et, tendant la main à sa sœur, elle lui dit :

— Merci de ne m’avoir pas caché cette affreuse vérité. Je l’aurais connue plus tard et c’eût été peut-être plus terrible encore. Causons maintenant comme deux bonnes amies, comme deux sœurs.

Enchantée de la tournure que prenaient les choses, la fille aînée de Méral répondit énergiquement à l’étreinte de Jeanne, et celle-ci poursuivit :

— Tiens-tu beaucoup à rester à Reims ?

— Oh ! non, s’écria Françoise ; il y a longtemps que je serais loin si j’avais pu quitter ce pays maudit.

— Eh bien ! je vais te donner les moyens de partir.

— Toi ! bien vrai ?

— À une seule condition, c’est que tu te chargeras d’un enfant.

— D’un enfant ?

— Oui, du mien, le fils d’Armand de Serville. Après m’avoir rendue mère, il m’a abandonnée, je sais maintenant pourquoi. Voilà ce que m’a rapporté la protection de Mme  de Serville. Sachant que son fils voulait faire de moi sa femme, elle n’a pas manqué, avant de mourir, de lui dire de qui j’étais fille… et le lâche est parti.

— Dame ! ma petite Rose, ce n’est guère facile à un noble d’épouser…

— Oui, la fille d’un guillotiné et la sœur d’un forçat. Enfin, il est loin et c’est notre enfant que je veux te confier. Je le donnerai 5,000 francs qui le serviront à toi et à lui, jusqu’à ce que je t’envoie d’autre argent ; mais tu quitteras Reims immédiatement.

— Oh ! bien volontiers. Où irai-je ?

— À Paris, d’où tu m’écriras poste restante, aux initiales J. R., dès que tu seras arrivée. De plus, jure de ne jamais parler de moi à personne.

— Ça, je le jure !

— Pas même à cet homme avec lequel tu vis.

— À Claude ? Je crois qu’il ne tient guère plus à moi que je ne tiens à lui.

— Et jamais, à qui que ce soit, tu ne diras que tu m’as vue ?

— C’est entendu !

— Quant à l’enfant, si on t’interroge, tu répondras que c’est le tien.

— Je te le promets.

— Ce sera ma vengeance. Puisque M. Armand de Serville ne veut plus de la mère, il n’aura pas davantage le fils. Plus tard, nous verrons !

— Sais-tu que tu es une rude femme, Rose, et joliment belle.

— Pas encore assez ! Convenons bien de nos faits. Demain, pendant que ton… que Claude sera au travail, nous irons chercher l’enfant ; c’est tout près d’ici, au