Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/149

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— Oh ! moi, je viendrai vous rendre visite avant votre départ, répondit Françoise en riant ; mais j’ai beaucoup à causer avec mademoiselle.

Et faisant respectueusement passer sa sœur la première, elle la suivit.

— Voilà bien les femmes ! murmura philosophiquement Pergous lorsqu’il fut seul ; à peine n’ont-elles plus besoin de vous qu’elles vous plantent là. C’est égal, ces cinq mille francs ne me coûtent pas cher et me mettent en goût. Décidément, je ne suis pas fait pour la province ; Paris est mon véritable théâtre. Dans six mois, il faut que j’y joue, moi aussi, mon rôle, d’autant plus que je serai plus près de Mlle Reboul, qui est une personne fort intéressante à surveiller. J’ai comme une idée que nous nous retrouverons, bien qu’elle ne paraisse pas, je dois le reconnaître, le désirer outre mesure.

Pendant ce temps-là, le coupé de Jeanne, dans lequel Françoise avait pris place, remontait vers les Champs-Élysées.

— J’espère que tu es contente et que ça s’est bien passé ? dit l’aînée des Méral, en prenant la première la parole.

— Oui, parfaitement, répondit sa sœur, à moins que cet homme, qui me paraît un gredin, ne m’ait trompée en me vendant cinq mille francs des papiers de nature à me nuire plutôt qu’à m’être utiles. Du reste, je ne m’en servirai pas avant de les avoir fait examiner.

— Oh ! il n’y a pas de danger. D’abord ça n’est pas son intérêt ; ensuite c’est un malin ! Mais ce n’est pas de cela dont je veux le parler. Gustave, ou plutôt Justin, tu sais ce qui lui est arrivé ?

— Non, fit naturellement Jeanne.

— Il s’est noyé !

— Bah !

— C’est comme ça ! Mon homme me l’a raconté, mais il doit en savoir plus qu’il ne veut me dire. Depuis ce jour-là, il est drôle. De plus, à chaque instant, il me parle de toi, et lorsqu’il m’a annoncé la mort de Justin, car il est convaincu qu’il est mort, il a grogné : « Ça ne fera peut-être pas de peine à tout le monde ! »

— Tu ne lui as rien dit, au moins ! Il ne sait pas ce que je suis devenue, où je demeure ?

— Je ne suis pas une imbécile, il ne me fera pas causer. Toutefois, j’ai peur qu’il ne se doute de quelque chose.

— Il faut absolument, toi, le faire parler. Tu es sûr de ton commissionnaire ; Manouret ne le connaît pas ?

— Il ne l’a jamais vu ; il poste auprès de la boutique d’un marchand de vin de la rue de Clichy. Tu penses bien que je n’en ai pas pris un dans mon quartier.

— Souviens-toi de ne pas me l’envoyer avant onze heures ni après quatre ;