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Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/154

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Un mois plus tard, l’appartement de la jeune femme était complètement terminé.

Il eût été difficile de rêver rien de plus coquet et de plus riche. M. de Ferney avait voulu qu’on prît sur la galerie un espace suffisant pour faire précéder le nid de son adorée d’un petit boudoir et d’un cabinet de toilette.

Les meubles étaient du plus pur Louis XVI, et les tentures, en lampas, imitaient les splendides soies du siècle dernier. Elles avaient été fabriquées tout exprès à Lyon.

Un matin, M. de Ferney, plus épris que jamais, avait placé lui-même, sur une délicieuse console qui venait de Trianon, la corbeille de mariage qu’il avait donnée à sa femme.

C’était un de ces splendides coffres en bois de santal, qu’on ne fabriquait alors que dans l’Inde.

Jeanne y avait trouvé deux merveilleux cachemires, des dentelles, des écrins renfermant les plus riches bijoux, et vingt mille francs en or pour sa bourse particulière.

En comparant par la pensée ce riche coffret à la petite boîte cachée honteusement à quelques mètres de là, la fille du guillotiné sentit son cœur bondir d’un incommensurable orgueil.

La fenêtre de cette chambre ouvrait sur le jardin, au-dessus de la serre du rez-de-chaussée que le maître de l’hôtel Rifay se promettait de faire élever jusqu’au premier étage, afin que sa seconde femme eût, ainsi que l’avait possédé sa première, un petit jardin d’hiver.

Mais comme cela nécessitait des travaux considérables et gênants, il en avait renvoyé l’exécution à l’époque où il s’absenterait avec Jeanne.

Dans cette partie de la maison, Mme de Ferney était tout à fait chez elle.

Sauf son mari, personne n’y pénétrait, pas même les deux petites filles, pour lesquelles on avait pris une institutrice qui habitait avec elles à l’étage supérieur.

Chargée tout naturellement du choix de sa remplaçante, notre héroïne s’était gardée de la prendre jeune et jolie, bien qu’elle fût assurée de son empire.

Cette institutrice était une Anglaise, miss Brown, vieille fille d’une quarantaine d’années, qui, sachant qu’elle dépendait absolument de la belle-mère de ses élèves, était ou paraissait être tout à sa dévotion.

Louise et Berthe ne voyaient plus leur père qu’au moment des repas, et même, comme il arrivait parfois que M. de Ferney, fier de sa jeune femme, invitait quelques-uns de ses collègues du Palais et que, ces jours-là, Jeanne ne trouvait pas convenable que miss Brown dînât à leur table, elle faisait servir les fillettes avec leur institutrice. Le magistrat passait alors tout un jour sans embrasser ses enfants.

Ce qu’il y avait de profondément triste pour les pauvres petites abandonnées, c’était que bien qu’il leur témoignai toujours la même affection lorsqu’il les avait près de lui, leur père ne les faisait jamais appeler.