Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/177

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pouvait s’endormir ; maintenant je vais déshabiller Mlle Berthe, que j’ai laissée toute vêtue sur son lit.

— Ah ! c’est vrai, Berthe est installée dans mon boudoir. Eh bien ! ne vous donnez pas cette peine, remontez auprès de Louise, je vais coucher sa sœur moi-même. Avant de me mettre au lit, je m’assurerai qu’elle dort. J’ai besoin d’air, je ne suis pas sortie aujourd’hui ; je vais faire un tour dans le jardin.

Miss Brown, habituée à obéir sans réflexion, salua la belle-mère de ses élèves et reprit le chemin de son appartement.

Pendant ce temps-là, Jeanne traversait la galerie et entrait dans son boudoir.

La fillette, couchée tout habillée sur son lit, y dormait d’un profond sommeil.

Vêtue d’une robe de velours noir, ses longs cheveux blonds flottant autour de sa tête mignonne, l’enfant était d’une ravissante beauté.

Mais cela importait peu à sa belle-mère, qui l’eût volontiers réveillée pour l’envoyer auprès de sa sœur, si elle n’avait pas craint d’éveiller les soupçons de l’institutrice.

Elle s’assura seulement qu’elle était complètement endormie, et ressortit aussitôt en fermant la porte à clef.

En passant devant la salle à manger, elle entendit sonner onze heures.

Le silence le plus complet régnait dans l’hôtel. La jeune femme, en arrivant dans le jardin, s’aperçut avec joie que la nuit était sombre et des plus propices à l’exécution de son projet.

Certaine qu’Armand l’attendait depuis déjà longtemps, elle traversa le parterre et disparut derrière les taillis et les grands arbres qui masquaient les constructions misérables de l’impasse du Cygne, où ne se trouvaient guère, au milieu des terrains vagues, que des magasins et des remises.

L’un de ces terrains, contigu au jardin, n’en était séparé que par un mur de quelques pieds de hauteur et en assez mauvais état. M. de Ferney ne le faisait pas réparer, parce qu’il était en pourparlers avec le propriétaire de ce terrain qu’il voulait réunir à son hôtel.

Parvenue à la porte de l’impasse, Jeanne l’ouvrit doucement, mais elle n’eut besoin ni d’appeler ni de sonder les ténèbres, car Armand, exact comme tous les amoureux, s’élança aussitôt vers elle et la pressa sur son cœur.

— Viens, lui dit-elle, en se suspendant à son bras ; seulement, tu vas prendre un singulier chemin. Mon mari est bien absent, mais comme il n’a pas emmené nos domestiques, je ne puis te faire passer par l’escalier.

Et, l’entraînant, elle le conduisit vers la maison.

Elle n’avait pas vu une tête effarée qui se montrait au-dessus du mur, à quelques pas de la porte, et elle n’avait pas non plus entendu le possesseur de cette tête murmurer :

— Que diable Françoise me disait-elle donc que sa sœur n’était plus à Paris !