Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/196

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passé, n’a pas repris auprès de cette misérable sa place d’autrefois ? Oh ! la vengeance est bien mon droit ! Assez de larmes et de faiblesse !

Pendant que M. de Ferney prononçait ces mots, sa physionomie exprimait la résolution la plus implacable ; lorsque le domestique qu’il avait sonné entra dans sa chambre, il avait repris tout son sang-froid.

Ce fut d’une voix parfaitement calme qu’il s’informa de l’heure du premier train.

L’express pour Paris était parti ; il n’y avait plus de train avant le milieu de la nuit. Le mari de Jeanne avait devant lui beaucoup plus de temps qu’il ne lui en fallait.

Il s’enferma dans sa chambre, tout à ses tristes pensées ; mais, vers huit heures, le domestique reparut avec une dépêche.

Le magistrat se souvint alors qu’il avait prié le maître de l’hôtel où il avait séjourné à Douai de lui faire parvenir, à Reims, tout ce qui arriverait à son adresse.

Il ouvrit donc sans étonnement ce télégramme, mais à peine l’eût-il parcouru qu’il jeta un cri de douleur.

Cette dépêche était celle que Mme  de Ferney avait expédiée à son mari, sur l’avis du commissaire de police.

— Oh ! non, ce n’est pas possible, se dit-il, j’ai mal compris !

Et il relut les terribles lignes à haute voix, comme pour mieux se convaincre qu’il n’était pas le jouet de quelque épouvantable hallucination.

Mais il n’y avait pas à s’y méprendre : on lui annonçait bien l’enlèvement de sa fille.

— Oh ! mon Dieu, s’écria-t-il, mon Dieu ! pourquoi me frappez-vous ainsi ? N’était-ce pas assez que cette femme eût introduit la honte dans ma maison ; fallait-il donc encore me punir dans mes enfants ? N’est-ce pas vous, Seigneur qui avez armé la main de mon fils que je n’ai plus voulu revoir ? Ma pauvre petite Berthe, enlevée, tuée peut-être ! Toi que j’ai si honteusement remplacée, toi que j’ai trop vite oubliée, pardonne-moi !

L’infortuné s’était laissé tomber à genoux en invoquant ainsi le souvenir de la chaste et tendre épouse à laquelle la fille du guillotiné Méral avait si rapidement succédé.

L’heure du départ le surprit dans un état de prostration que nous renonçons à peindre ; il monta en chancelant dans la voiture qui le conduisit à la gare, et ce fut seulement lorsque, grâce à l’isolement qu’il avait trouvé dans un coupé, il put laisser couler les larmes qui l’étouffaient, qu’il redevint un peu plus calme.

Quelques heures plus tard, il arrivait à Paris, toujours désespéré, mais complètement maître de lui-même.

Il s’était tracé une ligne de conduite dont rien ne devait le faire dévier. Il se l’était juré sur l’honneur.