Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/200

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— Si je l’emportais ? dit-elle, sans pouvoir vaincre le frisson que lui donnait cette épouvantable pensée.

Elle se penchait déjà sur le parquet pour y fouiller la cavité qui était devenue la tombe de l’enfant, lorsqu’elle entendit des pas dans le boudoir.

Presque au même instant, miss Brown entra dans la chambre.

— Que voulez-vous ? lui demanda Mme  de Ferney en allant vivement à sa rencontre.

Mais elle s’aperçut que l’Anglaise n’était plus la femme obséquieuse et servile qu’elle dominait depuis son entrée à l’hôtel.

Le regard de l’institutrice brillait d’un éclat moqueur ; sa bouche pincée se crispait dans un sourire mauvais.

Ce fut d’une voix sèche et brève qu’elle répondit :

— Monsieur vient de m’ordonner de vous aider à faire vos malles ; il m’a chargée aussi de vous mettre en voiture.

La subalterne à laquelle la belle-mère de ses élèves avait si longtemps fait courber hypocritement la tête la relevait pour se venger de ses bassesses passées.

Le magistrat avait bien choisi son émissaire.

Mme  de Ferney fut peut-être plus sensible encore à cette humiliation venue d’en bas qu’à toutes celles que son mari lui avait fait subir.

— Je n’ai pas besoin de vous, répondit-elle durement à miss Brown ; laissez-moi ; lorsque je serai prête, je vous ferai prévenir.

L’Anglaise, le même rictus aux lèvres, ne bougeait pas.

— Mais laissez-moi donc, sortez, répéta la jeune femme.

— M. de Ferney m’a également ordonné de rester auprès de vous jusqu’à ce que vous ayez quitté l’hôtel, reprit froidement l’institutrice, sans changer ni de physionomie ni d’attitude.

Jeanne étouffa un cri de rage, mais comprenant que toute révolte serait inutile, elle sonna, et quand sa femme de chambre, venue à son appel, lui eut apporté les malles qu’elle avait demandées, elle y jeta pêle-mêle tous les objets qui lui tombèrent sous la main.

Elle ne se préoccupa certainement que de ne pas oublier le petit coffre qui contenait ses papiers et ses lettres d’amour.

C’était là autant d’armes pour l’avenir.

— Eh bien ! c’est fait, dit-elle à miss Brown lorsqu’elle eut terminé ; accompagnez-moi maintenant, puisque vous en avez reçu l’ordre.

Et comme, en prononçant ces mots, elle s’était coiffée et avait jeté un châle sur ses épaules, elle prit les devants.