Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/199

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— La honte !

— Oui, la honte ! Rose Méral, vous êtes infâme et faussaire !

En s’entendant appeler de ce nom maudit, Jeanne jeta un épouvantable cri et dut se retenir au dossier de son lit pour ne pas rouler à terre.

Il lui semblait que tout s’effondrait autour d’elle. Ses yeux hagards fixés sur son mari, elle offrait l’image d’une inénarrable épouvante.

— Oui, reprit M. de Ferney, vous êtes infâme et faussaire ! Je ne vous livrerai pas à la justice, comme ce serait mon devoir de le faire, parce que je ne veux pas que mon nom devienne l’objet de la risée publique, mais je vous chasse !

Mme de Ferney demeurait silencieuse et courbée sur elle-même.

— Vous faites bien de ne pas vous défendre, continua le mari outragé, car Dieu seul sait jusqu’où m’emporterait mon indignation ! Ah ! je n’ignore rien de votre passé honteux, Rose Méral : fille adoptive ingrate, maîtresse infidèle, mère dénaturée, marâtre pour les enfants que ma faiblesse avait faits les siens, épouse adultère !

À cette dernière accusation, Jeanne releva la tête.

— Oui, épouse adultère, répéta le malheureux, qui ne restait plus maître de sa colère ; en retrouvant dans le peintre Petrus votre amant d’autrefois, vous m’avez laissé lui tendre la main et lui ouvrir ma maison. Ah ! vous avez dû bien rire tous deux de ma crédulité. Je me vengerai de lui ; vous, je ne veux que vous punir !

« J’aurais pu vous tendre un piège ou tout simplement vous laisser faire et vous tuer ; mais le sang d’une femme telle que vous tache et ne lave pas l’honneur d’un homme tel que moi. Votre amant, il mourra ; vous, je vous chasse, non pas seulement de cette maison, mais de Paris, de la France ! Si, dans vingt-quatre heures, vous n’avez pas franchi la frontière, je vous ferai arrêter. J’assurerai votre existence à l’étranger, pour que vous ne puissiez pas m’accuser de vous avoir livrée à la prostitution. Emportez tout ce qui vous appartient ici, tout ce que vous avez volé ! Partez, je vous maudis !

Le pauvre père, en prononçant ces derniers mots, s’élança hors de la chambre, car il sentait que s’il restait un instant de plus en présence de cette femme, il se livrerait sur elle à quelque acte de violence indigne de lui.

— Ah ! c’est ainsi, gronda Jeanne en le suivant d’un regard haineux jusqu’à ce qu’il eût disparu par la porte de la galerie ; ah ! monsieur de Ferney, vous me chassez et vous voulez tuer Armand. Eh bien ! c’est lui qui vous tuera ! Moi aussi, je serai vengée ! Quoi que vous fassiez, à moins que vous n’affrontiez les débats d’un procès scandaleux, je suis votre femme, je ne l’oublierai pas !

Puis, en songeant tout à coup que, forcée de sortir aussi brusquement de l’hôtel, de Rifay pour n’y jamais rentrer, elle allait y laisser le corps de Berthe caché dans le coffret qui lui appartenait, comme preuve de sa complicité avec le meurtrier, elle se sentit envahie de nouveau par la terreur.